Documentaire sur Canal+ à 21 heures

Imagine-t-on plus spectaculaire qu’une course qui se joue en dix secondes seulement ? Une épreuve en outre que le calendrier sportif programme précisément afin que des centaines de millions de téléspectateurs la suivent en direct et dont les rediffusions n’altèrent pas l’impeccable dramaturgie ? C’est, depuis le passage au professionnalisme du monde de l’athlétisme, le privilège du 100 m. Avec le risque inhérent à toute surmédiatisation de suspicion et de tricherie.

Alors que les Jeux olympiques de Los Angeles (1984) ont vu s’imposer, grâce à l’épreuve reine, la première icône mondiale de la discipline, le quadruple médaillé d’or Carl Lewis, dès l’édition suivante, à Séoul, ce sont les Jeux les plus sales de l’ère moderne qui ont frappé les esprits. Le dopage régnant alors en maître sur la compétition, « la course du siècle », entre Carl Lewis et Ben Johnson, se mua en parodie de duel chevaleresque. Et si, trente ans plus tard, les records du sprint féminin établis à l’été 1988 tiennent encore, c’est que la preuve de la faute n’a pas été établie. Bien que Florence Griffith-Joyner, indétrônée, soit morte prématurément de ces pratiques frauduleuses.

La force du documentaire tient à l’intelligente sélection par Sonia Dauger des figures qui ont fait du sprint l’épreuve phare de l’athlétisme. Par sa dramaturgie, d’abord. Quand on revoit la course de trop dont, pour faire plaisir à ses millions de fans, le Jamaïquain Usain Bolt prend le départ à Londres pour ses derniers Mondiaux en 2017.

Image extraite de « Sprint », de de Sonia Dauger. / BLACK DYNAMITE PRODUCTION

Par l’arène politique qu’elle peut être aussi. Le 3 août 1936, lorsque Jesse Owens triomphe dans l’arène berlinoise vouée au sacre du sport aryen, offrant un cinglant démenti du credo nazi. Ou quand on mesure le vrai moteur de la course des Noirs américains Tommie Smith et John Carlos, à Mexico, aux JO de 1968, qui visent le podium pour en faire une tribune mondiale de la dénonciation de la ségrégation raciale qu’ils subissent dans leur pays, brandissant un poing ganté.

Stars planétaires

Enfin, par la geste sociale qu’elle met en lumière. L’évocation, ici, impose, en leur faisant la part belle, les vrais héros de cette course mythique, Jesse Owens et Usain Bolt, que rien ne prédisposait à leur statut de stars planétaires. Le premier, Owens, sans avenir dans l’Alabama de ses racines, ne doit qu’à l’installation des siens à Cleveland de pouvoir courir, à part certes, car exclu du campus réservé aux Blancs, mais d’une liberté d’oiseau sur la cendrée. Pour autant, son triomphe à Berlin gêne tant l’establishment qu’il n’est pas reçu à son retour à la Maison Blanche et se voit retirer sa licence sur des imputations mensongères, ce qui mettra fin à sa carrière internationale. La tardive réparation par Gerald Ford lui octroyant, en 1976, la plus haute distinction accordée à un civil, la Médaille présidentielle de la liberté, ne pèsera pas lourd en regard de la vie brisée.

Le second, Bolt, enfant handicapé par une scoliose et une jambe trop courte, puis par un gabarit adulte hors norme, a réussi par son aisance et son flegme souriant à être non seulement le mieux payé, mais le plus aimé de tous les rois du sprint. C’est sans doute pour ces deux légendes rayonnantes que les ombres qui ont pu gâcher la fête, sectarisme et racisme naguère, dopage plus récemment, n’ont pas durablement entaché la magie de l’épreuve.

Sprint, de Sonia Dauger (Fr., 2018, 90 min).