Des partisans de l’ex président brésilien Lula devant les locaux de la police fédérale à Curitiba, le 8 juillet. / STRINGER / REUTERS

Les uns diront qu’il s’agit d’un coup monté, les autres d’une tentative – avortée – visant à rétablir un semblant de justice au Brésil. Au final, l’ancien chef d’Etat, Luiz Inacio Lula da Silva, figure de la gauche, emprisonné depuis avril pour corruption, n’aura cru que quelques heures à sa libération imminente.

Nous sommes le dimanche 8 juillet. En pleines vacances judiciaires. Le juge Sergio Moro responsable de l’opération anti-corruption « Lava-Jato » (lavage express) se détend au Portugal. Le juge, João Gebran Neto, rapporteur du dossier de Lula, est en week-end. C’est dans ce vide relatif que Rogério Favreto, juge de seconde instance, de permanence, répond soudainement à la demande d’habeas corpus (le droit de ne pas être emprisonné sans jugement) déposée le vendredi précédent par des députés du Parti des travailleurs (PT, gauche), le parti de Lula.

Une telle requête a maintes fois été sollicitée par la défense de l’ancien président (2003-2010). Jusqu’ici sans succès. Mais le juge Rogério Favreto consent à la demande et ordonne la libération immédiate de l’ancien syndicaliste. En appui de sa décision, le magistrat affirme que l’emprisonnement de l’ex président l’empêche d’exercer ses droits en tant que précandidat à l’élection d’octobre.

En dépit de sa condamnation à 12 ans d’incarcération en seconde instance, l’ex métallo prétend représenter le PT au scrutin présidentiel d’octobre dont il est le favori, avec plus de 30 % d’intention de vote. « Au stade actuel, l’exécution provisoire est illégale et inconstitutionnelle. La peine imposée à l’ancien président Lula ne peut le priver de ses droits politiques, ni restreindre le droit aux actes inhérents au précandidat à la présidence de la République », écrit le magistrat.

Coup de théâtre

Il est alors un peu plus de midi. C’est la liesse au sein du PT. « Après 92 jours de prison illégale et injuste, finalement, ce dimanche, a été reconnu le droit à notre camarade Lula de se défendre en liberté de cette sentence arbitraire et de disputer la présidence de la République de façon égale avec les autres candidats », écrit le parti de gauche dans une note.

« Le président Lula est libéré ! Nous sommes heureux. C’est une victoire de la démocratie et de l’Etat de droit », se réjouit Gleisi Hoffmann, la présidente du PT sur twitter. A Paris, Jean-Luc Mélenchon, figure de la France Insoumise (gauche) ose y croire « Victoire ? Une cour d’appel ordonne la libération de@LulaOficial au Brésil ! », écrit-il sur le même réseau social.

Mais le Brésil est coutumier des coups de théâtre. Très vite le vent tourne. Alerté par les policiers, le juge anti-corruption Sergio Moro, à l’origine de la première condamnation de Lula, est en rage. Il ordonne aux forces de l’ordre de désobéir et se fend d’une missive assassine expliquant que son confrère Rogério Favreto, « avec tout mon respect, relève d’une autorité incompétente » pour se positionner sur ce dossier.

Il est un peu plus de 14 heures. Piqué, Rogério Favreto, maintient sa position avant d’être contredit, une heure plus tard par le rapporteur du dossier de Lula, João Gebran Neto. Dans une dernière bravade, Rogério Favreto, ordonne à nouveau la libération de Lula. En vain. Le président du tribunal de seconde instance dont dépend Lula siffle la fin de la partie ordonnant, en fin de journée, le maintien en prison de l’ancien président.

« Degré de politisation »

Au-delà d’enfiévrer le camp des anti Lula et d’accabler leurs opposants, la péripétie aura offert le spectacle d’une justice déboussolée et de plus en plus décrédibilisée. Si les médias brésiliens n’ont pas manqué de souligner la proximité du juge Rogério Favreto avec le PT, parti auquel il fut affilié près de 20 ans avant de prendre ses fonctions de magistrat, une partie de l’opinion s’offusque de voir le juge Moro perdre son sang froid au point de désobéir aux ordres d’un supérieur.

« La justice est à la dérive », constate Augusto Botelho, avocat de Sao Paulo, qui défendit un temps des accusés de Lava-Jato. « La demande d’habeas corpus présentait des failles. Mais la réaction de Moro est complètement illégale », estime-t-il. « L’épisode révèle une fois de plus les conflits au sein de la justice brésilienne et son degré de politisation. C’est terrible pour le pays », abonde Marco Antonio Carvalho Teixeira, professeur de sciences politiques à la fondation Getulio Vargas.

Pour les militants du PT, qui n’ont jamais cru au bien-fondé des accusations contre Lula, il est clair que le juge Moro, « shérif » de l’anti-corruption, s’acharne sur leur chef politique pour empêcher le retour de la gauche au pouvoir. Pour les sympathisants de la droite, le PT aura, une fois de plus, fait étalage de sa malice tentant de libérer celui qu’ils considèrent comme le « chef suprême » de la corruption.

A trois mois du scrutin, une chose est sûre. Lula reste au centre du jeu politique. Loin des estrades, au fond de sa cellule, le « père des pauvres » n’est pas encore tombé dans l’oubli.