Cette année, la convention Japan Expo, qui vient de s’achever au Parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis), battait pavillon galactique. Avec notamment une célébration des 40 ans de l’aventurier Cobra, l’un de ses meilleurs ambassadeurs, le Salon s’était mis aux couleurs du space opera, ce genre de la science-fiction où l’action se déroule dans l’espace.

Sur les stands, parmi les mangas de science-fiction, difficile toutefois de trouver des séries de space opera. Tout le monde d’ailleurs ne s’accorde pas sur la définition du genre, ni sur les séries qui doivent y figurer : « Si la technologie est une fin en soi dans l’histoire ou un argument narratif, alors pour moi il s’agit de science-fiction, avance, de son côté, Grégoire Hellot, à la tête des éditions Kurokawa. Par exemple dans Star Wars, ils ne s’embêtent pas à expliquer comment les vaisseaux volent, le cœur de l’intrigue c’est le drame entre les personnages. »

Kurokawa était l’un des rares éditeurs à mettre en avant un space opera japonais à la Japan Expo, avec la publication récente des Héros de la galaxie, une saga qui, dans un futur lointain, met en scène la rivalité entre deux personnages, Reinhard von Lohengramm et Yang Wen-li, sur fond de guerre entre deux états interstellaires, l’Empire galactique monarchique et l’Alliance des planètes libres démocratique.

Bien que récent, ce manga est une nouvelle adaptation d’une série de dix romans de Yoshiki Tanaka extrêmement populaires des années 1980. Une déclinaison animée du même nom est également disponible actuellement sur la plate-forme française de vidéo ADN. L’autre nouveauté space opera du Salon, c’est la série animée Space Battleship Yamato 2202, un reboot d’un classique de l’anime japonais peu connu dans l’Hexagone. Yamato, du nom d’un cuirassé de la seconde guerre mondiale, est même l’une des toutes premières œuvres à consacrer le genre au Japon en 1974. Née de l’imagination de Yoshinobu Nishizaki et de Leiji Matsumoto, pape du manga spatial, la série raconte la lutte entre la flotte de Gamilas, qui veut rendre la Terre inhabitable, et la Force de défense terrienne.

Ces dernières années, l’écrasante majorité des œuvres de space opera japonais proposées sont des adaptations, des remakes ou des suites de saga célèbres, à l’instar du film et du nouveau manga Albator, le corsaire de l’espace inventé par Leiji Matsumoto proposés au public en 2013.

Passé de mode

Connu et identifié, même à l’étranger, le space opera nippon s’est quelque peu tari. Plusieurs raisons à cela : « Le space opera n’est pas vraiment à la mode au Japon, remarque Grégoire Hellot. Ce sont des histoires qui sont extrêmement longues, et le marché de l’édition ne va pas signer des plans quinquennaux pour des séries. » Et d’ajouter, pragmatique, « les décors spatiaux, les vaisseaux, c’est fastidieux à dessiner dans le manga, ça coûte du travail ».

Pour autant, selon Thomas Sirdey, cofondateur de Japan Expo, le thème reste dans l’air du temps, et la convention a un devoir de transmission auprès des plus jeunes : « Ma génération est arrivée dans le manga grâce à Cobra ou Albator. Ce sont des œuvres cultes et formatrices. L’œuvre de Buichi Terasawa [Cobra] est une clé de lecture du manga shonen d’aujourd’hui. Il a influencé de nombreux autres auteurs. »

La sortie de grandes sagas américaines comme Star Wars ou Star Trek et la conquête spatiale avaient été déterminantes pour le space opera japonais dans les années 1970 et 1980. « Il y avait déjà des histoires spatiales, avec des robots notamment. Mais l’idée du voyage interstellaire va permettre aux auteurs comme Leiji Matsumoto d’extrapoler des aventures et des situations à l’extrême. C’est un exutoire », analyse Yvan West Laurence, fondateur et ancien rédacteur en chef du magazine spécialisé AnimeLand. « Peut-être que leur retour réussi signera aussi celui des séries space opera japonaises », avance Karim Talbi, patron des éditions Isan, qui rééditent une partie de l’œuvre Cobra, rappelant que du côté des comics, « les Gardiens de la galaxie ont eu beaucoup de succès. Or leur héros, Star-Lord, c’est un peu le même genre que Cobra ».

Epique et grandiloquent

Les créateurs japonais ont cependant apporté leur touche à ce registre inventé en Occident. « Une dimension épique, de la chevalerie exacerbée avec parfois des valeurs très nationalistes », explique Yvan West Laurence. « Une esthétique androgyne, une grandiloquence, une notion de l’honneur et du sacrifice poussés à fond et qui pouvaient paraître ringards en Occident », détaille Grégoire Hellot.

Faute de nouveauté, ces grands classiques sont d’ailleurs remaniés chaque décennie dans de multiples versions pour être proposés à une nouvelle génération de jeunes lecteurs et spectateurs. Sans vraiment lasser le public. Répétitif, le space opera japonais ? « Ce serait comme reprocher à la légende arthurienne d’être répétée et répétitive », rétorque amusé Yvan West Laurence.