Série sur OCS City à 20 h 50

Le lugubre ne sied pas aux femmes. Maintes fois on a répété à la scénariste et romancière américaine Gillian Flynn que son premier manuscrit était bien trop sombre pour être publié. Qui aurait envie de se plonger dans un livre centré autour de trois femmes particulièrement compliquées, voire mentalement perturbées ? Son livre est finalement sorti en 2006 et vient même d’être réédité sous le titre Sur ma peau (Le Livre de Poche, 384 pages, 7,70 euros).

Gillian Flynn s’est ensuite mis en tête d’adapter son livre en scénario. Là encore, elle a lutté une bonne dizaine d’années avant que son personnage principal, une journaliste alcoolique hantée par un passé suffoquant, attire l’intérêt d’une autre femme : la scénariste et productrice Marti Noxon (Mad Men, Grey’s Anatomy, Glee, UnReal). En juin, lors d’un festival de télévision aux Etats-Unis, Marti Noxon expliquait devoir aller au combat, de nos jours encore, pour imposer aux diffuseurs des personnages féminins qui sortent des sentiers battus (elle est à l’origine du film To the Bone, disponible sur Netflix, et de la série Dietland, sur Amazon Prime Video) ; et se battre, aussi, pour obtenir des campagnes de marketing aussi agressives que celles que les studios organisent autour de séries emmenées par un personnage principal masculin.

Atmosphère étouffante

Journaliste au St Louis Chronicles dans le Missouri, Camille Preaker (Amy Adams, juste de bout en bout) a sauvé sa peau en fuyant sa famille et sa petite ville natale de Wind Gap. Au travers de courts flash-back distillés par le réalisateur Jean-Marc Vallée (Big Little Lies), l’on comprend que c’est dans cette ville sudiste à l’atmosphère étouffante et moite que la petite sœur de Camille, Marian, est morte dans d’incompréhensibles circonstances. De même, l’on devine peu à peu que sa mère a fait d’elle un être en souffrance, qui se réfugie dans l’alcool et recourt à toutes sortes d’objets pointus (trombone, lame, aiguille…) pour zébrer son corps de cicatrices.

A la suite du meurtre de deux fillettes à Wind Gap, Camille est envoyée sur place pour écrire un portrait de la ville et faire face aux démons qui la hantent depuis son enfance. Avec ce retour sur les terres de son enfance, son rédacteur en chef, paternel et bienveillant, la contraint à une sorte de thérapie de choc. Tout en veillant de près, par téléphone, à ce qu’elle ne sombre pas dans la destruction totale d’elle-même.

Comme dans la première saison de True Detective notamment, le mystère qui entoure ces meurtres de petites filles et l’enquête policière qu’ils déclenchent vernissent d’une apparence de suspense une série qui passionne en réalité pour son étude des personnages. Car l’investigation à laquelle la série invite le spectateur a bel et bien trait au nœud familial qui se forme lorsque Camille revient vivre, le temps de son enquête, dans l’immense maison où règne toujours sa mère, l’impérieusement douce Adora (Patricia Clarkson) ; et où survivent, comme enfermés dans un bocal à poissons, son beau-père et sa jeune demi-sœur, Amma (Eliza Scanlen), étrange et terrifiante Lolita.

La série intrigue à mesure que l’on pressent l’abîme au bord duquel cheminent ces trois générations de femmes, chacune se montrant rongée, à sa manière, par la pression sociale, les violences subies et une rage rentrée. Voire par la folie.

Sharp Objects, mini-série créée par Marti Noxon. Avec Amy Adams, Patricia Clarkson, Eliza Scanlen (EU, 2018, 8 × 52 min). Un épisode par semaine.