En trois ans, près de 3 000 personnes ont participé à The Changing Faces Competition, qui veut inciter les jeunes de Dandora, l’un des principaux bidonvilles de Nairobi, à l’engagement civique et la reconquête des espaces publics. / DTL Archive

Chaque année depuis trois ans, c’est la même effervescence à Dandora, un bidonville de 140 000 habitants dans la banlieue est de Nairobi, capitale du Kenya. Armés de pelles, de ballets, de pinceaux et de brouettes, des groupes de jeunes habitants investissent pendant quatre mois les cours intérieures nichées entre les îlots d’habitations précaires ou les trottoirs le long des routes de terre battue. Ils nettoient, assainissent, curent les fossés et les égouts, repeignent les murs en parpaings et plantent des arbustes dans ces espaces publics laissés en friche.

L’endroit est connu pour abriter l’une des plus grandes décharges d’Afrique de l’Est, source depuis 2001 de « danger sanitaire grave », selon le gouvernement, et repaire de gangs criminels. Sorti de terre dans les années 70 pour héberger des fonctionnaires grâce au financement de la Banque mondiale et du gouvernement, le quartier a été par la suite abandonné par les pouvoirs publics.

Jouer pour transformer la ville

Robinson Esialimba a grandi non loin de là. Parti à 20 ans étudier en Europe, cet urbaniste kényan a travaillé pour les Nations unies et des fonds de développement avant de rentrer à Nairobi pour fonder l’association Public Space Network (PSN) et créer la Changing Faces Competition (« Concours changer les visages »). L’idée de ce concours pour stimuler l’engagement citoyen est née en 2014. « Rien n’enthousiasme plus les jeunes que les rivalités amicales et les compétitions entre pairs, constate-t-il. Je me suis dit que cet attrait pouvait devenir un outil pour repenser le processus de transformation des espaces urbains. »

Jouer pour transformer la ville. En trois ans, près de 3 000 jeunes et 120 équipes ont participé à cette « compétition citoyenne » qui dure quatre mois. Chaque équipe composée d’une vingtaine de personnes doit repérer un lieu public et concevoir son projet de rénovation puis le mener jusqu’à son terme. Nettoyer d’abord, car les espaces communs servent souvent de dépotoirs et, faute de services publics, le ramassage des ordures et l’entretien des égouts sont inexistants.

Des participants à The Changing Faces Competition. / DTL Archive

Une fois le terrain assaini, place à l’innovation. Parmi les équipes récompensées, l’une a imaginé un espace modulable, aire de jeux pour enfants pendant la journée, convertie la nuit en parking sécurisé. Une autre a réalisé un jardin botanique qui peut être loué pour des mariages, une troisième un potager urbain dont les légumes sont vendus au marché voisin.

Un outil de responsabilisation politique

Les projets sont récompensés en fonction de leur impact sur le quartier et ses habitants, mais aussi de leur caractère durable. Les équipes doivent définir les moyens nécessaires pour que, passé la compétition, leur réalisation continue d’être entretenue.

Le concours vise aussi à mobiliser la capacité d’agir des jeunes du quartier, dans un environnement où l’incompétence des pouvoirs publics est source de frustration et de découragement. « On a constaté que plus les habitants s’engagent, plus ils se sentent habilités à demander ensuite des comptes aux autorités, explique Robinson Esialimba. La compétition est un outil de diffusion au plus grand nombre de messages clés sur l’engagement civique, la qualité de vie et la responsabilisation politique. »

Un puits réalisé dans le cadre de The Changing Faces Competition à Dandora, au Kenya. / DTL Archive

Dans un quartier où le taux de chômage des jeunes culmine à 40 % et où les gangs recrutent les plus jeunes, l’entretien des jardins et le ramassage des poubelles ont créé de nouveaux emplois. La compétition est financée par des entreprises sponsors. Chaque foyer donne aussi 1 euro par mois pour financer les projets et assurer leur entretien. Les directeurs des écoles ont constaté une diminution de l’absentéisme des enfants, même si l’impact sur la santé publique reste difficile à évaluer faute de statistiques.

The Changing Faces Competition a reçu le soutien d’ONU-Habitat, le Programme des Nations Unies pour les villes, basé à Nairobi, dont la directrice exécutive, Maimunah Mohd Sharif, souhaite diffuser le modèle dans d’autres pays. A Dandora, le lancement du prochain concours est prévu en septembre. Pour la première fois, il va s’étendre à d’autres quartiers de Nairobi.

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