Deux semaines de séminaire. C’est l’exercice qu’entreprend, depuis le lundi 2 juillet, Le Média, pour tirer les leçons de neuf mois d’activité en tant que « pure player » de la gauche alternative, soutenu par des proches de La France insoumise (LFI). Le rassemblement a donné lieu à des débats houleux et à des changements parmi les dirigeants de premier plan.

Les tensions ont notamment été relatées par un article paru le 8 juillet sur Mediapart, qui a notamment eu accès à des échanges issus d’un groupe de discussion interne sur la messagerie cryptée Telegram. En réponse, Le Média accuse le site fondé par Edwy Plenel de vouloir nuire à un concurrent. Mais l’équipe est bel et bien confrontée à une nouvelle crise, après le départ, en février, de plusieurs journalistes, notamment en raison de divergences sur le traitement du conflit syrien. Elle tente de surmonter les dissensions.

Un premier point sensible est l’état des finances : signe des tensions internes, celui-ci a donné lieu mardi à de vifs échanges, la fondatrice Sophia Chikirou étant soupçonnée d’avoir sous-estimé le déficit, avant que ce débat comptable ne soit résolu. Reste que les recettes n’atteignaient que 152 000 euros pour 185 000 euros de dépenses, soit environ 30 000 euros de perte par mois, selon les chiffres avancés par la direction mi-juin.

Lors du séminaire aurait été annoncée la réduction du déficit à 25 000 euros par mois environ, grâce à de meilleurs recrutements de « socios » – équivalents d’abonnés, membres de l’association de soutien au Média, aujourd’hui au nombre de 19 000 – et à une subvention reçue du Centre national du cinéma pour une mini-série historique sur les assassinats politiques à Paris.

Le manque de collégialité dénoncé

L’équipe espère pourtant toujours atteindre l’équilibre en deux ans. Pour cela, Sophia Chikirou prône de longue date la « diversification » des revenus. Elle voudrait tester l’insertion de publicités d’annonceurs sélectionnés, mais cette solution suscite des réticences de certains journalistes, notamment Aude Lancelin. Lancé après la web-télé, le premier numéro du mensuel papier, 99 %, aurait lui généré environ 6 000 euros d’excédent, grâce à 10 000 précommandes. Et une boutique de « goodies » siglés du Média serait à l’étude. Mme Chikirou compte aussi obtenir des « subventions » publiques, comme celle du CNC ou des aides à la presse.

Toujours pointée du doigt comme trait d’union entre « Le Média » et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, Mme Chikirou a assuré vouloir ainsi préserver « l’indépendance » de la rédaction.

Enfin, le journaliste Serge Faubert a suggéré jeudi que Le Média accueille à l’avenir des « investisseurs ». L’expression a suscité de vives réactions de presque toute l’équipe, certains craignant une « bollorisation », en référence à l’industriel breton Vincent Bolloré, qui a racheté Vivendi. Seule Sophia Chikirou a soutenu l’idée d’intégrer des apports d’institutionnels comme la Caisse des dépôts et consignations, des collectivités locales ou des entreprises sociales et solidaires. Ce débat devra être tranché lors de la conversion de l’association en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), promise de longue date et prévue, en principe, à l’automne.

L’autre source de conflit a été le management : des journalistes ont dénoncé, lundi 2 juillet, un certain autoritarisme et un manque de collégialité. En ligne de mire, la figure centrale de Sophie Chikirou accusée de concentrer tous les pouvoirs en cumulant les postes de présidente de la société de presse et de la société de production, détenues par l’association.

Dans la foulée, mardi, celle qui assurait seule la direction entrepreneuriale du projet a annoncé qu’elle démissionnait de ses fonctions à la société de presse, pour travailler à l’alliance entre La France insoumise et le parti espagnol Podemos en vue des élections européennes. Toujours pointée du doigt comme trait d’union entre Le Média et le parti de Jean-Luc Mélenchon, Mme Chikirou a assuré vouloir ainsi préserver « l’indépendance » de la rédaction. Mais son annonce, qui a surpris tout le monde, n’a pas apaisé les tensions.

Une société des journalistes créée

Jeudi, le nom d’Aude Lancelin a été proposé pour prendre la présidence de la société de presse et la direction de la publication. Mais l’ancienne journaliste de L’Obs ne semblait pas prête à assurer ce remplacement au pied-levé sans avoir des garanties : elle ne veut pas être responsable des activités commerciales et souhaite que la rédaction soit renforcée. En effet, deux nouvelles démissions sont annoncées, notamment celle d’Iban Raïs, en conflit avec Mme Chikirou. Depuis, cette dernière aurait dit que les départs seront remplacés. Lundi, une société des journalistes a été créée.

Un autre changement important se profile : le psychanalyste Gérard Miller annonce depuis des mois qu’il veut démissionner de la présidence de l’association. En remplacement, le nom de Mathias Enthoven, chargé de la communication sur les réseaux sociaux et ancien de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, a été avancé, mais il suscite des réserves, notamment de Mme Chikirou.

L’équipe espère trancher les questions non résolues d’ici vendredi et la fin du séminaire, une échéance invoquée par tous les participants pour refuser de s’exprimer dans les médias. Lundi 9 juillet, l’ambiance des débats était plus apaisée. Les discussions ont porté sur les programmes et notamment sur l’emblématique « JT » de 20 heures. Certains le jugent trop lourd à produire. Il est envisagé de le suspendre certains jours, de le raccourcir ou de le tourner en différé.

Un débat a aussi lieu sur le profil des invités et la place des politiques, notamment issus de La France insoumise. Un signe de la tension latente entre une logique journalistique et une approche plus militante. Une autre des difficultés à dépasser pour Le Média.