Harry Kane célèbre la victoire de l’Angleterre face à la Suède en quarts de finale avec son coéquipier de Tottenham Dele Alli, le 7 juillet. / DYLAN MARTINEZ/REUTERS

On peut être un ancien capitaine de l’équipe d’Angleterre et ne pas être impartial sur les Three Lions. Surtout lorsqu’on est une icône des Gunners d’Arsenal et que l’on juge ses rivaux des Spurs de Tottenham. « Je suis très inquiet de ces joueurs de Tottenham en sélection. Je ne pense pas qu’ils sachent comment gagner », avait lancé Tony Adams avant la Coupe du monde.

Quelques semaines plus tard, sa crédibilité en a pris un coup : l’Angleterre et son ossature des Spurs sont en demi-finale du Mondial, une première depuis vingt-huit ans. Dans le onze aligné par le sélectionneur Gareth Southgate, il y a trois titulaires indiscutables qui évoluent au sein du club londonien : le buteur Harry Kane, le talentueux Dele Alli et Kieran Trippier, le meilleur centreur anglais depuis un certain David Beckham. Auxquels il faut ajouter Danny Rose et Eric Dier, des remplaçants qui entrent régulièrement en jeu. En trichant un peu, Tottenham a également permis l’éclosion d’un autre pilier de la sélection, puisque Kyle Walker, vendu pour quelque 60 millions d’euros à Manchester City à l’été 2017, peut être considéré comme un produit maison.

« Il fallait se distinguer et j’ai toujours cru que ce club n’aurait de succès qu’en misant sur une identité britannique forte »

C’est tout sauf un hasard si l’identité de l’équipe d’Angleterre est très fortement marquée par celle des Spurs. Tottenham est l’équipe la plus anglaise de l’élite nationale. Cette politique est consciente et remonte à plus de dix ans. « Tottenham ne pouvait pas lutter avec Chelsea ou Arsenal sur les meilleurs étrangers ou les joueurs britanniques confirmés hors de prix. Il fallait se distinguer et j’ai toujours cru que ce club n’aurait de succès qu’en misant sur une identité britannique forte », explique le Français Damien Comolli, recruté en 2005 pour appliquer cette politique décidée par le board et son président, Daniel Levy.

En 2007, le transfert d’un certain Gareth Bale, acheté 11 millions d’euros à l’âge de 18 ans, est l’illustration du savoir-faire des Spurs en la matière. « On n’a pas trop eu de concurrence. Alex Ferguson n’y croyait pas, malgré les conseils de Ryan Giggs. C’était un marché sur lequel les gros clubs n’étaient pas. C’est la même chose avec Danny Rose, que j’ai recruté à l’âge de 16 ans à Leeds », se souvient Damien Comolli, aujourd’hui en poste à Fenerbahçe, en Turquie. Un exemple plus récent confirme que Tottenham persiste dans cette voie. En 2015, Dele Alli est déniché à Milton Keynes Dons, alors qu’il n’a pas 20 ans.

L’une des meilleures académies

A cette politique de recrutement spécifique, Tottenham ajoute une autre corde à son arc : l’une des meilleures académies du pays. Fort de ses six réalisations, le meilleur buteur du Mondial, Harry Kane, en est issu. Il a intégré le centre de formation à l’âge de 11 ans, après avoir été rejeté par Arsenal quand il n’avait que 8 ans. « Avec Southampton, c’est le club qui dépense le moins et qui travaille le mieux en sortant le plus de joueurs. A Manchester United, des jeunes qui n’ont jamais joué en pro se paient des maisons à 1 million de livres. Impossible à Tottenham », analyse Damien Comolli.

En poste depuis quatre ans, l’entraîneur argentin Mauricio Pochettino est l’artisan parfait pour valoriser la politique du club anglais, deuxième de Premier League en 2016-2017, une première depuis les années 1960. L’ex-coach de Southampton est passé maître dans l’art de faire progresser des jeunes joueurs et d’optimiser leur potentiel. La patte Pochettino se retrouve même sur le jeu de l’équipe anglaise. Gareth Southgate s’est inspiré du système défensif du coach des Spurs, notamment en jouant à trois défenseurs.

« La réussite de l’Angleterre, c’est celle de Pochettino et Tottenham. Cela me fait penser à l’influence d’Arsène Wenger sur la victoire française en 1998 »

« La réussite de l’Angleterre, c’est celle de Pochettino et Tottenham. Cela me fait penser à l’influence d’Arsène Wenger sur la victoire française en 1998, assène Damien Comolli. Un journal anglais avait titré sur une photo de Patrick Vieira et Emmanuel Petit après le troisième but en finale : “Arsenal remporte la Coupe du monde”. J’imagine déjà un titre similaire si les Anglais l’emportent le 15 juillet : “Les Spurs gagnent la Coupe du monde”. »

Même en cas de défaite anglaise, il y a de fortes chances pour qu’à la reprise du championnat l’effectif des Spurs compte au moins un champion du monde. Avec neuf joueurs au total, dont le gardien français Hugo Lloris et trois Belges, Tottenham est le club le plus représenté parmi les demi-finalistes.