Chronique. On y est. « On » est en finale. A Saint-Pétersbourg, les héros explosent de joie et célèbrent plutôt sobrement leur victoire. Reste une marche à gravir avant de se lâcher complètement répètent en boucle les acteurs tricolores, dont une bonne partie a vécu la défaite malheureuse face au Portugal lors de l’Euro en France, il y a deux ans. « Elle n’est toujours pas digérée, elle est restée là », confesse d’ailleurs Didier Deschamps au micro de TF1. De la retenue, donc. Le mot d’ordre.

La fête est ailleurs. Partout dans le pays. « La France en liesse » (C News) ; « La France en ébullition » (BFM TV) ; « La France en fête » (LCI). Très vite, les télévisions vont braquer leurs objectifs sur un lieu, comme un symbole, estampillé « avenue de la Gloire » et réquisitionné pour l’occasion : les Champs-Elysées à Paris. Les supporteurs y affluent, et les images impressionnent au fil des minutes. Les envoyés spéciaux sont vite noyés dans le flot incessant d’une foule qui grossit. On se rue sur les caméras pour témoigner et pour immortaliser sa présence. « Une émotion qui n’est pas sans rappeler celle de 1998 », lâche la jeune envoyée spéciale de TF1, dont le duplex tourne court.

1998. Retour vers le futur. Les souvenirs remontent à la surface à la vue des Champs qui se garnissent. On y retourne. « Comme un vent de 1998 », souffle C News, dont le lyrisme est classé force 7. « La France est déjà dehors alors qu’on n’a pas gagné, clame le truculent Gilles Verdez, c’est la jeunesse française qui se soulève. » Et Julien Pasquet le présentateur, de conclure : « C’est pire qu’en 1998 ! » Pas mieux.

En 1998, Israël aussi avait gagné l’Eurovision

Impossible d’échapper au parallèle. Vingt ans après. Un mois après les célébrations multidiffusées des 20 ans. Retour dans les couloirs du stade de Saint-Pétersbourg. « Regardez les Champs-Elysées, vous étiez un jeune enfant en 1998. » Frédéric Calenge interpelle Olivier Giroud devenu grand. « Oui, ce sont des souvenirs impérissables. Je me souviens de la tête de Zizou sur l’arc de triomphe », répond-il embarrassé, avant de tenter de se placer lui et ses potes : « J’espère que nous aurons la chance à notre tour de communier notre joie avec les Français. »

Plus tard, c’est à Antoine Griezmann de se pointer en exclusivité sur TF1. « Est-ce que vous rêvez de voir marqué “Grizou président !” sur l’arc de triomphe ? », lui demande Denis Brogniart. « Ça voudra dire que j’aurai marqué deux buts en finale, ça me va », répond l’attaquant des Bleus, pas ménagé jusqu’ici par la critique. Denis Brogniart, en pleine remontée nostalgique, ose même un truc : « Cette année, le Real Madrid a gagné la Ligue des champions, comme en 1998, Israël a remporté l’Eurovision, comme en 1998, la France est dans la poule C, comme en…, et la Croatie était en demi-finale comme en… » Et en 2006, « on » n’était pas en finale ? Oui, mais c’était la Finlande qui avait gagné l’Eurovision, et le Barça la Ligue des champions.

Les Bleus de Deschamps sont donc ramenés une nouvelle fois au siècle dernier et aux exploits de Zidane et de ses potes. Pas très cool pour eux. « Ce n’est pas l’équipe la plus flamboyante, la plus technique ou collective, on disait la même chose d’une autre équipe… il y a vingt ans. », s’enflamme Grégoire Margotton, dont le documentaire 98 secrets d’une victoire, diffusé le 10 juin sur TF1, a réalisé un carton d’audience. « Il y en a un qui m’a dit qu’on allait être champions du monde, c’est Aimé Jacquet, et ce soir je pense à lui », ajoute le commentateur.

A ses côtés, Bixente Lizarazu veut avoir une pensée émue pour son capitaine de 1998, Didier Deschamps, qui « s’en est pris plein la tronche ». Emmanuel Petit, lui, œuvre sur BFM TV et manie à merveille l’art du contre-pied. Le buteur de la finale face au Brésil en 1998 s’agace quand on lui parle de « relais », de « successeurs ». « Oui, et puis moi, ça me rappelle l’équipe de Platini… J’espère qu’on ne va pas retomber dans des débats anxiogènes et y voir des tas de symboles. » Comme le football facteur de cohésion sociale, exemple de mixité… ?

« Je crois qu’on peut parler de patriotisme »

Oups, trop tard : « C’est un bonheur social qui se traduit à travers cette équipe de France solidaire, courageuse, c’est pour ça que les gens l’aiment. » (LCI). « Cette fête traduit ce besoin de vivre ensemble, à l’image de ces joueurs qui vivent si bien ensemble. » (C News). « Même si le mot fâche, je crois qu’on peut parler de patriotisme. Un patriotisme qui ressort après des moments difficiles », avance pour sa part Patrick Chêne (LCI). Sur le plateau de TF1, le comique Ahmed Sylla s’amuse de tout ça. « Quand je pense à tous ces nouveau-nés qui vont s’appeler Didier Deschamps. »

Pendant ce temps-là, on danse sur les Champs, on gueule, on chante. On goûte juste une joie simple qu’on veut collective : « Nos enfants en ont ras le bol d’entendre parler de 1998. Là, c’est la leur, celle d’une autre génération », précise à toutes fins utiles Nathalie Iannetta sur TF1. Le héros et buteur du soir, Samuel Umtiti, ne dit pas autre chose : « Ils ont écrit leur histoire, on a envie d’écrire la nôtre. »

Sous-entendu « merci de me lâcher un peu avec 1998 ». « Si on gagne, je dors dehors avec tous les Français », s’amuse Kylian Mbappé, à qui on fait remarquer une nouvelle fois qu’il n’était pas né en 1998. « On a du mal à rester calmes, on cache nos émotions. Il faut rester humble, tous les Français doivent rester humbles », dit pour sa part Adil Rami, remplaçant mais ambianceur de vestiaire. Bref, pas question de shooter plus haut que son culte. Ou que celui des dieux ancestraux.