Malgré les deux ascensions de la côte de Mûr-de-Bretagne, ce sont des pneus crevés, ceux de Romain Bardet et Tom Dumoulin, qui ont occasionné les seules différences notables de la sixième étape du Tour de France. Sale journée pour AG2R-La Mondiale, puisque Pierre Latour finit à un souffle de Dan Martin, vainqueur d’étape.

  • Pour l’instant, la Sky a deux leaders

Le leader de la Sky, en compagnie du leader de la Sky. / MARCO BERTORELLO / AFP

C’est la petite musique qui monte depuis le début de la semaine, et l’étape de Mûr-de-Bretagne va faire monter le volume : et si Geraint Thomas se piquait d’être, lui aussi, leader du Team Sky, prenant son autonomie de Christopher Froome ? Jeudi, Froome a, sans qu’on en connaisse la cause, lâché du temps dans les derniers mètres de l’ascension, et si la perte comptable est ridicule (cinq secondes), elle est aussi symbolique. Richie Porte, copain du quadruple vainqueur du Tour, a lâché à l’arrivée : « C’est une bonne journée pour le classement général. Maintenant, ce qui va être intéressant, c’est de voir si Sky roule pour Geraint Thomas ou pour Froomey. » Avec des amis comme ça, Chris Froome n’a pas besoin d’ennemis.

Depuis le départ du Tour de France, Nicolas Portal, directeur sportif du Team Sky, ne cesse de se réjouir de la position au classement général de Geraint Thomas (désormais deuxième à trois secondes du maillot jaune Greg Van Avermaet) et de sa forme du moment. Jusqu’aux Alpes, il semble clair dans l’esprit des dirigeants de la Sky que Geraint Thomas n’est pas un équipier de Christopher Froome.

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C’est clair aussi pour le Gallois, un ambitieux qui soulignait, avant le Tour, qu’il faudrait faire le point sur la situation dans les Alpes pour déterminer la stratégie de la Sky. Jeudi, pour la deuxième fois depuis le départ, il a attaqué avant un « sprint bonus » pour prendre deux secondes de bonification, dans l’espoir de prendre le maillot jaune. Dimanche, sur les pavés du Nord, l’ancien spécialiste des classiques jouera sa propre partition, avec de bonnes chances de s’en sortir mieux que son leader. A 32 ans, Geraint Thomas, qui n’a toujours pas annoncé pour quelle équipe il roulerait l’an prochain, sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps pour accomplir son rêve de remporter un Grand tour.

La Sky peut-elle revivre la situation du Tour de France 2012, lorsque « Froomey » avait été freiné dans les cols par Bradley Wiggins, alors désigné leader mais de toute évidence moins fort que son lieutenant ? Il faudrait pour cela que Geraint Thomas affirme sa capacité à rester au plus haut niveau durant trois semaines, sans chute ni défaillance. Ce qui ne lui est jamais arrivé.

  • La roue tourne, mais elle tourne moins bien quand elle est voilée

Bardet s’est pris une trentaine de secondes dans les dents. / POOL / REUTERS

Et elle commence à tourner de traviole pour Romain Bardet. Les 51 secondes d’avance sur Chris Froome au soir de la première étape, après la chute du quadruple vainqueur du Tour, ne sont qu’un doux et lointain souvenir pour le Français qui, en deux coups de cuillère à pot, à savoir deux étapes identifiées comme risquées, a cédé plus d’une minute et demie au Britannique, désormais 43 secondes devant sur lui.

Aux 71 secondes lâchées lors du chrono par équipes de Cholet (3e étape) s’en sont ajoutées 23 à l’arrivée à Mûr-de-Bretagne. A trois kilomètres de l’arrivée, sa roue arrière s’est voilée dans un contact avec la roue d’un autre coureur. Romain Bardet a donc gravi la côte finale sur le vélo de son coéquipier-dépanneur Tony Gallopin, qui n’est pas Romain Bardet, et n’a donc pas un vélo réglé pour Romain Bardet. Or, « Romain est très sensible au niveau de la position, explique son directeur sportif Julien Jurdie. Je pense qu’il n’a pas pu aborder la montée bien comme il faut. »

« La chance n’était pas de notre côté aujourd’hui, souffle l’intéressé, au bord de l’asphyxie. C’est dommage de perdre du temps, ce sont les aléas, mais j’ai limité les dégâts », que voici : 23 secondes cédées à Froome et Uran, 28 à Quintana, Nibali et Porte, et 30 à Geraint Thomas, dont l’avance sur le Français au général s’élève désormais à 1’42, ce qui commence doucement à ressembler à un écart important.

On trouve toujours plus malheureux que soi : Tom Dumoulin a brisé un rayon de sa roue avant à cinq kilomètres de l’arrivée et dû récupérer la roue d’un coéquipier. Le vainqueur du Giro 2017, candidat à la victoire à Paris, concède 22 secondes de plus que le Français sur la ligne d’arrivée, et encore 20 supplémentaires pour avoir profité de l’aspiration de la voiture de son équipe Sunweb dans sa tentative de revenir sur peloton. Au jeu de la course à l’élimination qui sévit depuis le départ du Tour, seuls Vincenzo Nibali et Rigoberto Uran, parmi les favoris, sont restés indemnes.

  • Ce sont les coureurs qui (ne) font (pas) la course

Tiens, c’est joli ces petits fanions multicolores. Ah, il y a une course cycliste qui passe en dessous, on n’avait pas vu. / STEPHANE MAHE / REUTERS

S’il ne manquait les coiffes bretonnes et les bannières brodées de soie, on se serait dit que le peloton honorait quelque saint, ce jeudi, autour de Mûr-de-Bretagne. Le final échevelé qu’espéraient les organisateurs, en plaçant une première ascension de la côte à 20 kilomètres de l’arrivée, s’est transformé en procession. Est-ce parce que le parcours faisait une boucle que le peloton s’est mis d’accord pour organiser une « troménie », ces processions giratoires dont la tradition en Bretagne remonte à 1500 ans environ ?

Comme la veille, le parcours vallonné a été escamoté par des équipes économes de leurs efforts. La première côte de Mûr-de-Bretagne a été grimpée à vitesse modérée, avec le vent de face, et la seule accélération, celle du Néo-Zélandais Jack Bauer, n’avait pas de quoi faire ciller le peloton.

« Tout le monde cherche à économiser ses forces, ne sait pas encore trop où il en est, excuse Thierry Gouvenou, directeur de course du Tour. C’est un peu frustrant, parce qu’il y avait quand même le terrain pour attaquer, mais on sent une certaine peur des prochains jours. Tous les efforts sont calculés, les coureurs ne sont pas encore complètement engagés dans la bataille. Le vent de face a sans doute joué aussi. Ils ont eu peur d’attaquer, peur de faire deux fois l’effort, parce qu’ils ont peur de perdre. »

Cet attentisme n’est pas un délit, mais une offense au Tour peut-être. Et si l’on entend les raisons des équipes de candidats au podium, on se demande si la dizaine d’autres avait en tête de battre Valverde ou Martin sur cette ascension sèche, d’économiser des forces pour prendre une vaine échappée le lendemain ou si elles estiment que le Tour commencera à Annecy.

Sur ces terres, ces cérémonies portent un nom : le Pardon. Aux spectateurs ?