L'Ecole polytechnique sur les Champs-Elysées, à Paris, lors du défilé du 14 Juillet. / Frédéric Soreau/Photononstop

« J’ai dû me battre durant ces deux années pour prouver que les élèves brillants pouvaient réussir en L, malgré toutes les rumeurs… » Pour Lou, même le premier choix d’orientation, qui s’effectue en classe de seconde, a été difficile à imposer : ses professeurs et amis voulaient la voir en filière scientifique, alors qu’elle visait un bac littéraire.

Apologie du bac S, dénigrement du bac L, et mépris pour les bacs technologiques et professionnels…, cette « hiérarchie » entre les différents baccalauréats est un obstacle souvent évoqué dans les réponses reçues à notre appel à témoignages adressé aux élèves et aux étudiants qui ont choisi de faire des études en dehors de la « voie royale » que leur ouvraient leurs bons résultats scolaires.

  • « Un bac général me permettrait de me retourner vers une voie plus classique si besoin »

Laura, excellente élève et passionnée de mode depuis son enfance, a finalement cédé au pragmatisme plutôt que de choisir une voie professionnalisante dès le lycée : « Mes parents et mes professeurs m’ont conseillé un baccalauréat économique et social (ES) au cas où je me rende compte que le domaine de la mode n’était pas fait pour moi. Un bac général me permettrait de me retourner vers une voie plus classique si besoin », explique-t-elle. In fine, ce choix a été le résultat d’un arbitrage entre la « rentabilité » présumée du diplôme et ses « envies ». Un compromis à l’avantage d’une filière jugée plus « sûre ».

  • « On est venus me voir plusieurs fois en me conseillant de faire une prépa littéraire pour ne pas gâcher mon potentiel »

Cette inégalité de reconnaissance des cursus se retrouve plus encore au moment du choix des études supérieures. « J’ai choisi d’entrer en école de psychomotricité alors que tout le monde me voyait en prépa ou en médecine », témoigne ainsi Carole, qui a finalement tenu bon.

Combien de jeunes se retrouvent tiraillés entre les attentes familiales, celles des professeurs et leurs désirs, quand bien même ceux-ci sont clairs. « Je pleurais, ne sachant pas ce que je devais faire et si je prenais les bonnes décisions. Je me souviens parfaitement du soir où j’ai dû choisir mon premier vœu APB : le DUT ou la prépa », raconte Lou. La jeune fille, qui avait déjà bataillé pour faire le choix d’un bac L, a de nouveau fait face à la déception de ses proches quand elle a souhaité intégrer un DUT en métiers du livre : « On est venu me voir plusieurs fois en me conseillant de faire une prépa littéraire pour ne pas gâcher mon potentiel. » Elle a eu l’impression de subir une double pression, contre son choix d’une filière « moyenne » d’une part et parce qu’elle était particulièrement bonne élève d’autre part.

Nina en a assez, elle aussi, que les bons élèves soit automatiquement associés à la prépa. Elle a fait le choix d’entrer à l’université. « Ce n’est pas une “filière poubelle” pour les étudiants moins doués, ou moins favorisés que les autres. » Un point de vue partagé par Julian : « Avec une approche volontaire, ouverte et investie, l’université est une voie de réussite, au même titre que l’ENS. »

  • « Faire des études plus originales et suivre sa passion ne veut pas dire se la couler douce »

Laura, qui avait accepté de rester dans une filière générale jusqu’au baccalauréat, a ensuite suivi sa passion : elle a intégré, en septembre, une très sélective école de stylisme et modélisme en région parisienne. Mais son année de terminale n’a pas été de tout repos : « Certains ont essayé de me dissuader ou de me convaincre de m’orienter vers une école de commerce pour devenir chef de produit, tout en évoluant dans le milieu de la mode. Mais ce qui m’intéressait, c’était la partie création et non la partie business. »

Elle a dû sans arrêt se justifier, et jongler entre préparations au concours et au bac, et a subi une pression constante sur son orientation. Ses parents et d’autres proches l’ont toujours soutenue dans son choix, mais « on leur a parfois dit qu’ils étaient inconscients car les métiers artistiques ont la réputation d’être précaires », se souvient l’étudiante. Elle ne regrette pas son choix, mais met en garde : « Faire des études plus originales et suivre sa passion ne veut pas dire se la couler douce. Il faut travailler pour y arriver, il n’y a pas de secret. »

  • « Certains membres de ma famille et proches considèrent que je mérite mieux »

Tanguy, très bon élève en terminale au lycée Faidherbe à Lille (Nord), a tenu bon, avec le soutien de sa mère : il intégrera une licence de droit à la rentrée, pour préparer le concours d’entrée de la police et devenir gardien de la paix.

Ses professeurs, qui l’incitaient à s’orienter en classe prépa pour viser des concours plus sélectifs et prestigieux, ont finalement respecté son choix : « Même les plus sceptiques m’ont parlé de forums et de sites Internet parlant du métier de policier, afin de m’assurer que c’était bien ce que je voulais faire. » En revanche, « certains membres de ma famille et proches considèrent que je mérite mieux, constate-t-il. Nous n’avons pas la même vision du travail. Je pense qu’il faut avant tout être épanoui, eux pensent qu’il faut que le travail rémunère un maximum en argent et apporte du prestige. »

Cette conception du travail est répandue parmi les étudiants. Selon un sondage du concours Passerelle auprès d’étudiants et jeunes diplômés des treize écoles de commerce auxquelles il mène, l’épanouissement personnel est l’élément qui définit très largement la réussite (46 %), devant le critère de rémunération (21 %). Ce qui n’empêche pas une certaine ambivalence : les milliardaires Steve Jobs, Mark Zuckerberg et Elon Musk apparaissent dans le top 5 des personnalités qui incarnent, selon eux, la réussite.

  • « J’ai arrêté Sciences Po parce que j’y entrai pour changer le monde, alors que c’est moi que j’ai senti changer »

Le refus de la voie royale est parfois plus tardif. Après s’être laissé entraîner mécaniquement dans de grandes écoles, certains étudiants ne s’y sentent pas à leur place.

« Vous êtes l’élite de la nation, des privilégiés, et cela vous oblige à une certaine responsabilité. » Robin* se souvient de ces mots du directeur de Sciences Po Lyon. Une école qu’il a choisi de quitter, déçu par une ambiance où la confiance élitiste affichée et entretenue était une « certitude réductrice ». « J’ai arrêté parce que j’y entrai pour changer le monde, alors que c’est moi que j’ai senti changer », résume ainsi Robin. Aujourd’hui âgé de 27 ans, il achève une licence d’histoire, après avoir travaillé en tant qu’animateur en centre de loisirs et surveillant d’établissements scolaires, le temps de se réorienter.

En refusant l’occasion d’intégrer de très bons cursus ou en les quittant, Lou, Laura, Tanguy et Robin ont fait preuve d’une vraie forme de courage. Le courage de s’écouter pour s’écarter du chemin d’un destin déjà tracé.

* Le prénom a été modifié.