Cotonete au Duc Des Lombards. / JUSTINE DARMON

« Ils se parlent ! Ils continuent de se parler. » Nous avions laissé Florian Pellissier en pleine fête du vaudou à Ouidah au Bénin. Sur une plage proche de la Porte du non retour, il imagine les percussionnistes brésiliens jouer pour leur cousins africains. L’esprit du pianiste était resté de l’autre côté de l’Atlantique. Il faut dire que Florian vit une histoire d’amour avec le Brésil.

Lire l’entretien avec Florian Pellissier, 5e partie  : Bijou Caillou Vaudou

Une belle histoire

« Et si tu me parlais de ton quintet brésilien... » Lors de notre première entrevue déjà, Florian m’avait parlé de son mystérieux quintet brésilien. « Ca ne s’appelle pas le Florian Pellissier Quintet ? » « Non, ça s’appelle Os Foda. Je l’ai monté à Goiânia, la ville qui sert à rien où habitait ma copine brésilienne. » Florian avait rencontré une jeune femme brésilienne il y a cinq ans à un concert de Setenta au Caveau des Oubliettes. « La nana était à la première table, une métisse brésilienne, sublime, je ne voyais qu’elle. J’étais timide, complètement inhibé. Au troisième set, je sors fumer une clope. Elle m’aborde : Est-ce que vous pourriez m’expliquer pourquoi Bill Evans est considéré comme un des plus grands pianistes de jazz ? » Du pain béni pour Florian qui, en plus d’être fan absolu, avait étudié à la Bill Evans Academy de Bernard Maury. « Bill Evans est le pianiste qui joue dans Kind of Blue de Miles Davis, le best-seller de l’histoire du jazz. » Début de l’histoire. Elle repartait le lendemain.

La ville qui sert à rien

 Les deux jeunes gens restent en contact grâce à la magie d’internet. « Au bout d’un mois et demi, je lui dis que j’ai pris mon billet pour Goiânia. Si tu m’attends à l’aéroport c’est super, sinon je visiterai le Brésil ! Je débarque, elle m’attendait. Le Brésil j’adorais, la musique brésilienne est infinie, mais je n’y étais jamais allé. Goiânia, c’est complètement paumé, la ville qui ne sert à rien, un trou ! Malgré ses deux millions d’habitants, il n’y a pas de musique là-bas, pas de club de jazz. Ils n’écoutent que du rock 90’s et du sartajeno, la country locale. » 

Le mystérieux quintet brésilien

 « Je rencontre Fred Valle, un batteur hyper-polyvalent qui joue dans tous les groupes. On fait un bœuf, on joue pendant 4H, clavier-batterie. La connexion s’est faite tout de suite. On trouve un bassiste, on développe un répertoire, on monte un trio. Un lundi soir, on joue dans un bar, le Gloria. On fait un set en trio. Bouche à oreille : Tous les zicos de Goiânia se pointent, dont une super section de cuivres. On fait la jam. On a pris les 2 cuivres les plus sympas, sax et trompette. On avait notre quintet. On jouait à chaque fois que j’y retournait. On a fini par enregistrer. Ils ont mixé les morceaux, m’ont envoyé le master, mais au final l’album n’est jamais sorti. » Depuis la belle s’est envolée mais le Brésil est toujours là.

A la recherche de Di Melo

« Parlons de Di Melo : Qu’est-ce qu’il représente pour toi ? » « Di Melo, c’est une star ! » « Il a sorti l’album Di Melo en 1975 qui est devenu mythique, ensuite il a complètement disparu, un peu comme Don Blackman, dont le disque une référence pour les musiciens de funk. L’album de Di Melo était réalisé par Hermero Pascoal. C’est du jazz funk brésilien chanté très facile à écouter à la Jorge Ben, et puis il y a des morceaux qui partent en vrille, complètement sombres,.C’est un chef-d’œuvre. Tous les Djs le connaissent mais pas le grand public. » « Comment tu l’as retrouvé ? » « L’histoire a commencé bien avant de rencontrer le Brésil. Grâce à Julien Lebrun, Setenta avait joué à Jazz à Vienne avec Orlando Julius. C’était le principe du Jazz Mix. Reza [Ackbaraly, programmateur du Jazz Mix] aimait bien Cotonete [le groupe jazz-funk brésilien de Florian] et souhaitait une rencontre. On a pensé à Di Melo. J’ai chiné sur internet. Il avait rien fait depuis 75. Je tombe sur un blog de musiciens qui étaient partis à sa recherche. Ils préparaient un documentaire, faisait des répets. A l’époque je ne parlais pas portugais. Je n’ai pas réussi à les contacter. C’est tombé à l’eau. »

Brasil

« Au printemps 2017, on part au Brésil avec Cotonete pour accompagner Simone Mazzer. A l’origine de Cotonete, il y avait Frank Chatona, un sax que je connaissais avant New York. En 2004, il vient me voir : On y va, on monte le groupe de notre rêve ! » Leur idée : un Earth, Wind & Fire brésilien, avec la volonté affichée de jouer au Brésil. « Treize ans après, on y est malgré tous les méandres, toutes les fois où le projet a failli capoter. Je ne l’aurais jamais cru. Le premier soir à Rio, Frank et moi, on a embrassé la scène. On était dans le journal, on est passé à la télé dans Globo, deux jours de folie. On n’avait jamais réussi à avoir deux lignes dans Pariscope... On était sur un nuage. »

Cinq jours à São Paulo

« On avait deux dates à Rio, deux dates à Sao Paulo, puis une dernière à Rio. On se retrouve cinq jours off à Sao Paulo. J’avais ma petite idée. On était tous ensemble, le show était rodé. J’étais prêt à payer une session de studio si on arrivait à faire une rencontre, si on trouvait quelque chose à raconter. J’en parle à mon ingé-son, adorable. On échange nos idées. Elle me dit qu’elle a fait le retour de Di Melo quatre ans plus tôt au Circo Voader. Elle me donne son 06. Je n’imaginais pas ce qui allait arriver.  »

  « J’imaginais prendre un café, faire un selfie. J’appelle Di Melo, tombe sur sa femme. Vous êtes qui ? Je lui raconte. Je lui envoie deux-trois sons. Une demi-heure après je reçois un texto :  Votre groupe sonne comme s’il pouvait réveiller les morts. Cotonete, c’est un tribute à la musique funk brésilienne. On jouait un son qui n’existe plus. Simone nous avait fait venir Cotonete pour cette raison-là. RV demain à 15h. »

La rencontre

 « Dimanche après midi. La coccinelle débarque à 16:00. Di Melo, sa femme et sa fille, un bonbon de dix ans, débarquent à la maison. Il dit à peine bonjour, me tend un CD : Mets la deux, mets la deux. Il se met à danser : Sabonete Cotonete Sabonete Cotonete, une pub qu’il avait fait. Il était en train de se ficher de nous, c’était parfait ! On va dans la cuisine. Il sort sa guitare : deux heures de concert non-stop avec sa fille. Au bout d’un moment, je fonds en larmes. A la fin du concert, il nous dit : Écoutez les gars, j’ai 400 chansons. J’adore votre son, Si vous voulez, on bosse ensemble.  »

« On trouve un lieu à São Paulo, le Pico do Macaco, une résidence d’artistes, avec un studio de repet où les musiciens jouent le soir. Il était libre le mardi suivant. On avait filmé les deux heures de concerts, on choisit les morceaux, se les répartit, on fait les arrangements en vingt-quatre heures. Le surlendemain on est au Pico. Le groupe qui avait fait le documentaire et qui entre-temps avait enregistré avec Di Melo vient à la répet nous encourager, des crèmes ! Dans la vraie vie, on se sera fait assassinés. Deux jours, deux concerts. Le lendemain, on trouve un super-studio et on finit par enregistrer vingt-deux titres ».

L’histoire de Di Melo et Cotonote est loin d’être terminée. Di Melo est actuellement en tournée en Cotonete. Un single est sorti, l’album est prévu pour 2019.

Entretien avec Florian Pellissier
- 4e partie : L’accélération des particules
- 5e partie : Bijou Caillou Vaudou
- 6e partie : Rêve de Brésil

Florian Pellissier en concert

Florian Pellissier Quintet
- 19/07 Nice Jazz Festival, Nice

Cotonete accompagne Di Melo
- 13/07 Mona Bismark, Paris
- 19/07 Nice Jazz Festival, Nice
- 20/07 Samba Percussions, Monléon Magnoac
- 22/07 Petite Halle, Paris

Joe Bataan meets Setenta
- 29/07 Tempo Latino, Vic Fezensac

Nouvel album : Florian Pellissier Quintet – « Bijou Caillou Voyou » (2018, Heavenly Sweetness)