Le pilote français Jean-Eric Vergne (Techeetah) mène le championnat FIA de formule électrique (FE) à la veille du double ePrix de clôture, qui se court à New York les 14 et 15 juillet 2018. / TECHEETAH

Il est à « une finale » du titre de champion du monde mais ne joue pas au football : Jean-Eric Vergne, ex-pilote de F1 (chez Toro Rosso) passé en 2014 à la formule E, court, samedi 14 et dimanche 15 juillet, le double ePrix de New York, qui clôt la 4e saison du championnat de monoplaces à propulsion électrique. Du bord de la piscine de l’hôtel Rooftop de Brooklyn, où il a pris ses quartiers, le Francilien âgé de 28 ans décrypte en amont les enjeux d’une discipline qui « a toutes les qualités pour être le futur du sport automobile ».

Vous courez ce week-end pour décrocher votre premier titre de champion du monde des pilotes de FE. L’affaire paraît plutôt bien engagée pour vous.

Si tout se passe bien, oui ! Il suffit que je marque 5 points samedi pour que Sam Bird [pilote DS Virgin, classé deuxième à 23 points] ne puisse plus me rattraper. Mais rien n’est jamais gagné. Il faut prendre les choses calmement, physiquement et mentalement.

Savez-vous que vous n’êtes pas le seul à jouer une finale dimanche ?

C’est pour cela que j’espère gagner aux points dès samedi, pour suivre le match [France-Croatie]. La finale tombe pendant les qualifications : il y aura un écran dans la chambre de contrôle des ingénieurs.

L’équipe Techeetah au complet à l’occasion de l’ePrix de Santiago, le 3 février 2018. / TECHEETAH

Vous êtes arrivé en FE il y a trois saisons, faute de volant en F1. Après Andretti puis DS Virgin vous avez rejoint l’écurie chinoise Techeetah. Estimez-vous que durant cette période la FE a gagné en notoriété ?

Plusieurs championnats automobiles ont été créés par le passé et ont disparu après une ou deux saisons. Beaucoup anticipaient ce scénario pour la formule E. C’était un pari un peu fou d’Alejandro Aga [industriel espagnol, fondateur et propriétaire de la FE]. Un pari réussi : on roule dans les plus belles et les plus grandes villes du monde et c’est le championnat de sport auto qui attire le plus de constructeurs.

Il vous a fallu vous adapter au pilotage des monoplaces électriques. Pouvez-vous préciser ?

Impossible ! F1 et FE sont tellement différentes, même si de l’extérieur, elles se ressemblent. Elles sont en particulier plus instables, car il y a moins de grip [« adhérence »] aérodynamique. Sur les tracés urbains étroits, il est plus difficile de rouler à 100 % des capacités d’une FE qu’à 100 % d’une F1 sur circuit. Surtout, la FE, ce n’est pas juste être le plus rapide, il faut aussi gérer l’énergie. J’ai appris, mais cela m’a pris du temps. Je fournis un travail beaucoup plus important en FE qu’en F1.

Le pilote Techeetah Jean-Eric Vergne remporte le troisième ePrix de Paris, le 28 avril. / BERTRAND GUAY / AFP

Le retraité de la F1 Felipe Massa est annoncé en décembre chez Venturi…

Cela montre qu’il y a un intérêt réel pour les pilotes. Les premières années, pas grand monde voulait venir en formule E. Aujourd’hui, je ne connais pas un pilote, à part ceux qui ont un bon contrat en F1, qui ne veut pas venir. Les places sont extrêmement chères dans ce championnat et c’est une bonne chose.

L’événement de la saison prochaine est l’arrivée de la Gen2, monoplace capable de courir un ePrix entier, sans en changer à mi-course. Il s’agit d’une évolution importante.

C’était le point faible de ce championnat : en saison 5, la Gen2 aura 25 % de puissance en plus [250 kW au lieu de 200 kW] et le double d’autonomie. C’est un immense bon technologique, qui aurait pu être fait avant, mais il fallait attendre que le championnat soit stabilisé avant d’introduire une nouvelle monoplace.

La puissance ne vous manque pas (260 CV actuellement en FE ; près de 1 000 CV en F1) ?

Non non, pas trop… [il se reprend] Un petit peu bien sûr, parce que les F1 sont les voitures les plus puissantes au monde. Mais quel intérêt si on y réfléchit ? Les F1 de 2018 sont les plus rapides jamais créées… or devant leur écran de télévision, les téléspectateurs n’ont pas vu le changement.

En revanche, sur place, c’est sidérant…

100 % d’accord : c’est sidérant ! Il est certain que si vous mettez une formule E sur un circuit de F1, les gens vont s’endormir. Elle va beaucoup moins vite [220 km/h pour une FE, 360 km/h pour une F1]. En revanche sur les circuits urbains de New York ou Paris, la FE va bien assez vite. En qualifications [la puissance autorisée y est supérieure, à 260 km/h], franchement, ça fait peur !

Jean-Eric Vergne lors de l'ePrix de Marrakech (Maroc) le 13 janvier 2018. / TECHEETAH

Vous pensez donc que la FE est l’avenir du sport auto ?

Oui, totalement. A quoi se jauge l’attrait sportif d’une compétition ? A la bagarre en piste – il y en a en FE –, à la présence de « top drivers » – il y en a en FE –, à l’attrait pour les villes hôtes – promouvoir une mobilité non émettrice de CO2 – et à son business plan viable – sinon le championnat mourra. Il y a vingt ans, la F1 créait des technologies, qui ensuite s’appliquaient à la voiture de M. Tout-le-Monde. Les constructeurs avaient donc intérêt à être en F1 pour valoriser leur savoir-faire auprès du public. Aujourd’hui, pour profiter des avancées technologiques de la F1, il faut s’acheter une voiture à 2 millions ! Alors qu’en FE, les technologies utilisées en courses sont celles des voitures de série.

Mercedes doit d’ailleurs rejoindre le championnat de FE à la fin de 2019…

Donc oui, la formule E a toutes les qualités pour être le futur du sport auto.

Autre atout, l’image verte de la FE, qui a reçu, le 11 juillet, la certification environnementale ISO 20121 (comme les Jeux de Londres en 2012).

On ne peut plus ignorer le changement climatique. J’ai passé quatre jours de vacances au Mexique, au bord de la mer des Caraïbes. J’y étais allé l’an dernier : la plage était de sable blanc et l’eau turquoise. Cette année elle est remplie d’algues, qui viennent du fleuve Amazone, à cause du réchauffement climatique. En FE, on est un peu plus sensibilisés. En revanche, quand les journalistes disent que le cyclisme ne pollue pas parce qu’il n’y a pas de moteur sur les vélos, c’est faux. L’emprunte carbone d’une étape du Tour de France doit être aussi importante que celle d’un Grand Prix. Il faut arrêter de stigmatiser tel ou tel sport et se poser les vraies questions.

Vous étiez au Castellet (Var) pour assister au Grand Prix de France du 24 juin. Qu’en avez-vous pensé ?

C’était génial de retrouver la formule 1 en France, sur ce circuit magnifique. En revanche, on s’ennuie à mourir sur un Grand Prix de F1 ! A part Vettel [Sebastian, quadruple champion et pilote allemand de Ferrari] qui repart dernier et remonte tout le monde, il ne se passe rien !

Selon la rumeur, toutefois, vous seriez prêt à rejoindre Toro Rosso, écurie de F1 pour laquelle vous couriez jusqu’en 2014 ?

Je le suis plus que jamais ! Je pense que je suis un bien meilleur pilote que lorsque j’ai quitté la F1. Et si Toro Rosso venait à m’appeler pour finir la fin de saison, j’irai directement. Mais de là à prolonger une saison entière en F1, en milieu de grille, et quitter le haut du tableau de la FE qui n’arrête pas de monter, la question se pose réellement.

Top 10 de pilotes de Formule E à la veille du double ePrix de New York des 14 et 15 juillet 2018, qui clôt la 4e saison du championnat de FE. / FIA / FORMULA E