Manifestation en soutien à Oleg Sentsov, le 2 juillet à Kiev (Ukraine). / VALENTYN OGIRENKO/REUTERS

La Coupe du Monde de football s’achève en Russie, et Oleg Sentsov risque de mourir. Le cinéaste ukrainien, incarcéré dans une colonie à régime sévère dans le nord du pays, a eu 42 ans ce vendredi 13 juillet, tandis qu’il franchissait un autre pallier : 61 jours de grève de la faim. Dans une lettre datée du 22 juin mais rendue publique le même jour, vendredi, sur le site de la radio Echo de Moscou, sa mère, Lioudmila Sentsova, a demandé sa grâce à Vladimir Poutine.

« Je ne vais pas essayer de vous convaincre de l’innocence d’Oleg, même si j’en suis persuadée, écrit-elle. Je dirai juste qu’il n’a tué personne. Il a déjà passé quatre ans en prison. Ses enfants l’attendent. Le cadet souffre d’autisme. Ils ne seront jamais heureux sans leur père. »

Vladimir Poutine est resté jusqu’ici inflexible. Ni les commentaires alarmés des défenseurs des droits de l’homme, ni les requêtes de ses interlocuteurs – Thorbjorn Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe, a lui aussi demandé sa grâce – ni les nombreux appels d’intellectuels à l’étranger n’ont ébranlé le chef du Kremlin.

« J’ose croire qu’il va le libérer pour ne pas laisser une ombre sur le Mondial. La mort [du nationaliste irlandais] Bobby Sands après soixante-six jours de grève de la faim [en Irlande du Nord], a pesé sur Thatcher comme quelque chose d’indélébile », souligne depuis Paris Michel Eltchaninoff. Cofondateur de l’association Les Nouveaux dissidents à travers laquelle écrivains et intellectuels comme Leila Slimani, Jonathan Littell ou Philippe Claudel se sont mobilisés, il est lui-même l’auteur d’une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron lui demandant de ne pas se rendre en Russie sans un geste du Kremlin.

Pétitions et manifestations

Le président français a assisté à Saint-Pétersbourg à la demi-finale du Mondial disputée par la France le 10 juillet. Il sera de nouveau à Moscou ce dimanche, au côté de Vladimir Poutine, pour la finale qui opposera cette fois la France à la Croatie.

Publiée sur le site de la Société des réalisateurs de film, une pétition a réuni des dizaines de signatures françaises et étrangères parmi lesquels Jacques Audiard, Bertrand Tavernier, l’acteur américain George Clooney ou le cinéaste russe Andreï Zviaguintsev. Depuis les Etats-Unis, d’autres appels ont été lancés, dont celui de l’écrivain Stephen King. Dans une lettre ouverte rédigée à l’attention de Vladimir Poutine et de Gianni Infantino, président de la Fédération internationale de football, le Pen Club aux Etats-Unis a réuni les signatures d’une cinquantaine de personnalités, dont Patti Smith, Salman Rushdie, Paul Auster ou Michael Connelly. Toutes ces démarches sont restées sans résultat.

En Russie, ceux qui osent manifester publiquement pour la libération d’Oleg Sentsov sont réprimés. Vendredi, le tribunal Tverskoï de Moscou a condamné deux acteurs de Teatr.doc, Maria Tchouprinskaïa et Gregori Gandlevski, à 20 000 roubles d’amende (environ 275 euros) pour avoir « distribué des tracts » en faveur du cinéaste. Huit autres personnes ont été interpellées à Saint-Pétersbourg, comme tous ceux qui ont tenté de sensibiliser les supporteurs de foot venus du monde entier. Rue Nikolskaïa, à Moscou, lieu de rassemblement privilégié des fans, la police les a promptement chassés.

Un chemin plein d’obstacles

Oleg Sentsov, le 25 août 2015 au tribunal de Rostov-sur-le-Don, en Russie. / AP

« Nous avons appris aujourd’hui par les médias qu’une telle demande [de grâce] a été faite », a commenté, vendredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, interrogé sur la lettre de la mère d’Oleg Sentsov. « Bien sûr, elle sera examinée, nous y prêterons attention », a-t-il ajouté. Jusqu’ici, pourtant, tous les obstacles ont été dressés sur le chemin de la libération du cinéaste, à commencer par sa nationalité. Né en Crimée, la péninsule ukrainienne annexée en 2014 par la Russie, il s’est vu imposer la nationalité russe, compromettant ainsi la perspective d’un échange entre prisonniers un temps envisagé entre Kiev et Moscou. La Russie a ensuite argué qu’elle ne pouvait échanger un « citoyen russe ».

Oleg Sentsov a lui-même lié son sort à celui de quelque 70 autres prisonniers ukrainiens, dont Alexandre Koltchenko. A l’issue d’un procès qualifié de « parodie de justice » par Amnesty International, les deux hommes avaient été condamnés en même temps, le 25 août 2015, à respectivement vingt et dix ans de colonie pénitentiaire pour « organisation » et « participation » à une entreprise « terroriste » sur la base d’aveux de deux complices présumés. Ces derniers ont, depuis, déclaré qu’ils leur avaient été extorqués sous la torture. « Manifestement, les droits élémentaires de la défense n’ont pas été respectés », a convenu le 10 juillet Bernard Griveaux, porte-parole du gouvernement français sur France Info.

Dans une colonie pénitentiaire

Accusé de faire partie de Praviy Sektor, un groupe ultranationaliste ukrainien, puis arrêté en Crimée en mai 2014, moins de deux mois après l’annexion de la péninsule ukrainienne, Oleg Sentsov purge aujourd’hui sa peine dans une colonie pénitentiaire de Labytnangui, à près de 2 000 kilomètres de Moscou, dans la région de Iamalo-Nénétsie. C’est là qu’il a commencé, le 14 mai, sa grève de la faim, en se disant déterminé à aller « jusqu’au bout ». Depuis, « chaque jour, il boit 3,5 litres d’eau, répète son avocat Dmitri Dinzé. Il a accepté des injections de glucose, d’amino-acides et de vitamines. »

« Oleg, qui mesure 1,90 mètre (…) a perdu 15 kg depuis le début de sa grève de la faim, a témoigné sa cousine, Natalia Kaplan, qui a pu lui rendre visite le 5 juillet. « Hier, il était dans un très mauvais état, aujourd’hui, il se sent mieux. Cela va surtout mal le soir », avait-elle poursuivi, en précisant qu’il irait effectivement « jusqu’au bout » : « Il croit en sa victoire. »

La déléguée aux droits de l’homme de Vladimir Poutine, Tatiana Moskalkova, qui s’était résignée à faire le déplacement le 28 juin, a fait entendre sa différence. « Oleg Sentsov est en bonne forme émotionnelle. Il marche, il s’intéresse à ce qu’il se passe dans le monde, il regarde la télévision, les infos et le football, et il écrit un scénario pour un film », avait-elle déclaré, sans un mot sur son état physique. En quittant les lieux en cortège, la fonctionnaire, élevée au grade de générale du ministère de l’intérieur où elle a longtemps travaillé, a refusé de s’arrêter et de parler à son homologue ukrainienne, Lioudmila Denissova, qui s’était vu refuser l’accès au camp.

Vendredi, loin des projecteurs du Mondial qui vont s’éteindre, un autre Ukrainien, Evgueni Panov, a été condamné à huit ans de colonie pénitentiaire pour les mêmes motifs qu’Oleg Sentsov. Arrêté également en Crimée en août 2016, ce chauffeur d’entreprise avait avoué, sous l’effet de la torture a-t-il affirmé à ses avocats, avant de se rétracter.