Zidane, 12 juillet 1998. / THOMAS COEX / AFP

La consigne a servi la légende de l’entraîneur honni devenu maître tacticien. Le matin de la finale contre le Brésil, le 12 juillet 1998, Aimé Jacquet conclut sa causerie d’une dernière harangue : « Sur les coups de pied arrêtés, ils sont assez dilettantes. Si vous êtes un petit peu futés, malins, essayez de bouger, de les perturber. Ils n’ont pas une rigueur de marquage énorme sur les coups de pied arrêtés. »

Boudé par son sélectionneur en début de Mondial après avoir essuyé ses crampons sur un Saoudien, et toujours muet dans la compétition, Zidane se révélera un élève appliqué le soir-même. Profitant de l’hospitalité de la défense brésilienne, le Marseillais coupe de la tête deux corners et guide le pays vers sa première étoile.

Assise dans le virage du Stade de France, Elisabeth Loisel ne dévie guère des 80 000 autres spectateurs de l’arène dyonisienne : elle exulte. À ceci près qu’elle tire de chaque but de la future idole nationale une légitime fierté. Certains y verraient son quart d’heure warholien. « J’avais invité mes parents au match, mon père était un fana de foot. Je leur avais expliqué les éléments que nous avions mis en avant [la vulnérabilité des Brésiliens sur corner]. Quand ils ont marqué, on s’est sauté dans les bras. J’étais tellement contente de voir que ça avait marché. À ce moment-là, je me dis : “T’as participé à une petite part de la Coupe du monde”. »

Zidane, l’élève studieux

Coach de l’équipe de France féminine en 1998, Elisabeth Loisel compte parmi la douzaine de membres de la Direction technique nationale (DTN) réquisitionnés par Aimé Jacquet pendant le tournoi. Leur mission : scruter l’ensemble des matchs et rédiger un rapport transmis au staff des Bleus. En binôme avec l’ancien international Jean-François Jodar, la Meldoise est affectée dans les enceintes sudistes (Marseille, Toulouse, Bordeaux) au premier tour. Avant de tirer le gros lot pour la phase finale : le Brésil.

En demi-finales, la Seleçao écarte les Pays-Bas aux tirs au but, à Marseille, et gagne le droit de défendre son titre, cinq jours plus tard. Au Vélodrome, le duo Loisel-Jodar dissèque la bande à Ronaldo et livre son « point de vue », comme demandé par Jacquet. Celle qui entraînera un temps l’équipe féminine chinoise se souvient des trois enseignements consignés :

« On avait signifié de ne pas se livrer, de ne pas les chercher trop haut. Ensuite, de plutôt les faire rentrer vers l’axe, empêcher le jeu par les côtés. Et sur les coups de pied arrêtés, exploiter ce premier poteau sur lequel ça nous a paru tellement surprenant de laisser autant d’espace. »

Les fameux coups de pied arrêtés. Vingt ans plus tard, Elisabeth Loisel se rappelle les largesses défensives brésiliennes, un « no man’s land » : « Ça nous a paru d’une évidence extrême, ça sautait aux yeux. » Le rapport sera suivi d’une discussion entre les deux espions et Jacquet. Charge à lui de faire passer le message à ses ouailles. Dans un entretien croisé au Figaro, deux d’entre elles, Lilian Thuram et Bixente Lizarazu, se sont souvenues de la leçon.

Thuram : « Lors de sa causerie, le mec est calme, tranquille. Il nous donne les axes de jeu et nous dit les points faibles de l’adversaire. C’est incroyable. »

Lizarazu : « Incroyable, c’est le terme. Il nous dit que les Brésiliens ne sont pas bons au premier poteau. Ils font le nombre, personne ne fait le marquage, et c’est cette zone qu’il faut cibler. Et Zizou met deux buts. C’est le seul qui a écouté les consignes. »

« Le coach nous donne toutes les clés »

Deux décennies après son double coup de casque, Zidane récitait à nouveau la leçon de son sélectionneur, dans un numéro commémoratif de l’Équipe :

« Les jours avant la finale, Aimé Jacquet a mis l’accent sur les corners : Zizou, je sais que le jeu de tête n’est pas obligatoirement ton point fort, mais ce Brésilien il fait 1,70 m [Roberto Carlos, 1,68 m], celui-là, à peine plus [Leonardo, 1,75 m], donc je te garantis que si tu y vas avec conviction, tu peux faire quelque chose. Et ça c’est passé comme ça. Manu tire le premier corner de la droite, Youri le deuxième, de la gauche, et je me suis retrouvé à chaque fois seul ou avec l’avantage de la taille. »

Pour Elisabeth Loisel, les remerciements seront discrets. La petite troupe d’observateurs sera conviée à une soirée avec le staff des Bleus, qui saluera leur rôle « de manière générale ». Elle préfère aujourd’hui s’étendre sur la contribution de la DTN, réduite à peau de chagrin, lors du dernier Mondial. Quatre membres seulement ont été dépêchés en Russie, chargés d’analyser les seuls adversaires potentiels des tricolores. Une perte pour le football, selon l’actuelle responsable de la formation haut niveau :

« On est un peu surpris : c’est quand même dans les grandes compétitions qu’on arrive à voir l’évolution du jeu. Ça profiterait à beaucoup de gens, aux éducateurs en premier lieu, au football en général. Il ne s’agit pas que d’observer pour l’équipe de France, mais d’en tirer des enseignements sur l’entraînement, la compétition et le jeu au haut niveau. »

En Russie, les quatre paires d’yeux mobilisées suffisent apparemment à informer les Bleus sur leurs rivaux. En phase finale, Olivier Giroud est revenu sur les « meetings tactiques […] progressivement installés au sein de la compétition » : « Rien n’est laissé au hasard. Toutes les chances sont mises de notre coté, pour qu’on sache exactement ce qu’on a à faire sur le terrain. Le coach nous donne toutes les clés. » À eux de se montrer aussi diligents que leurs glorieux prédécesseurs.