La phrase au fronton de la chapelle de la citadelle d’Arras semblait avoir été écrite par eux, ces 169 coureurs au masque de peur : « Mater Dei, Ora Pro Nobis ». « Mère de Dieu, priez pour nous. » Le car de la Movistar s’était garé sous la chapelle Saint-Louis pour préparer le départ, comme s’il lui faudrait l’appui d’une force supérieure pour passer cette journée que l’on disait, pour ses trois leaders hispanophones, possiblement fatale.

L’horloge indiquait midi et la place d’Armes de la citadelle, bondée et poussiéreuse, bruissait de noms, ceux dont on disait qu’ils perdraient le Tour dans l’après-midi. Trop maladroits, trop légers, mal accompagnés, mal équipés… La réponse était connue dans la traversée de Rœux, à 8 kilomètres d’Arras : l’Australien Richie Porte, l’un des plus malchanceux de sa corporation, ou des moins funambules, c’est selon, était à terre et se tenait l’épaule. Le Tour de France s’arrêtait là, loin des pavés, à la 9è étape où il avait déjà chuté, l’an dernier, lorsqu’on voyait en lui le rival de Christopher Froome.

Pour le reste, le Tour n’a éconduit aucun de ses prétendants dimanche 15 juillet, et la lecture du classement invite à revoir tous ses préjugés sur le cyclisme en terre hostile : dans le peloton de 31 qui a franchi la ligne à Roubaix, il y a l’immense Nils Politt, 1m92, et le grimpeur de poche Domenico Pozzovivo, 1m63 ; le robuste Andre Greipel, 82 kilos, et le fragile Rafal Majka, 62 kilos.

Bardet trahi par sa pneumatique

Les augures ont eu tort, eux qui prédisaient un tournant du Tour, les flammes et les torches pour les leaders jetés sur des routes trop rudes pour leurs frêles carcasses. Les organisateurs avaient placé 21,7 kilomètres de pavés sous leurs roues, un record depuis 35 ans : « Quand c’est court, on ne peut avoir que le mauvais côté des pavés, c’est-à-dire une chute et non une sélection », avait argué le directeur technique du Tour de France, Thierry Gouvenou. Il avait tort : aucune équipe de favoris n’a vraiment tenté de faire la décision, à l’inverse de l’étape mémorable de 2014, lorsque l’équipe Astana du futur vainqueur Vincenzo Nibali avait dynamité le peloton sur le pavé humide. Ce Tour se jouera en montagne, dès mardi où le changement de braquet s’annonce ravageur.

Christopher Froome, dont on a pu constater qu’il garde ses coudes écartés sur le pavé comme dans le col, Vincenzo Nibali, qui a laissé filer là une grande occasion, ou Nairo Quintana, toujours aux avant-postes, sont devenus, à force de reconnaissances multiples, des habitués du pavé. Ils arrivèrent dans le même temps à Roubaix, c’est à dire à 27 secondes d’un trio qui, lui, nous rappelait les classiques d’avril : deux vainqueurs de l’Enfer du Nord, l’Allemand John Degenkolb et le maillot jaune Greg Van Avermaet, et le champion de Belgique Yves Lampaert. Ils avaient filé dans l’avant-dernier secteur, celui de Camphin-en-Pévèle, et se disputèrent la victoire devant le vélodrome.

La Belgique a peut-être la meilleure équipe de football et les plus grands coureurs de pavés du monde, mais il était écrit qu’elle resterait en marge de la gloire, ce dimanche : Greg Van Avermaet et Lampaert étaient devancés sur la ligne par Degenkolb.

La proximité de la finale de la Coupe du monde sautait aux yeux sur le parcours, le blanc et le bleu des drapeaux s’ajoutant aux rouges des briques. On croisait des maillots des Bleus de toute époque, surtout celles qui gagnent, Euro 1984, Coupe du monde 1998, Coupe du monde 2018 bien sûr.

Ils poussèrent fort derrière Romain Bardet, mais les calicots ne sont d’aucune aide contre la malchance ou les mauvais pneumatiques : le Français a crevé trois fois, sur le premier pavé, le dernier et au milieu, et en fut quitte, à chaque fois, pour une poursuite effrénée. Bardet n’a pas perdu le Tour, et à l’arrivée, masque de boue sur le visage, il ne pouvait que remercier son équipe. « J’ai perdu combien ? », demandait-il à son coéquipier Silvan Dillier. « Sept secondes, l’informait le Suisse. Avec tout ce qui s’est passé, c’est pas mal non ? »