9E ETAPE : ARRAS - ROUBAIX, 156,5 KM

Grand gagnant de l’étape des pavés sous la pluie en 2014, Vincenzo Nibali (en jaune), sera l’un des favoris, dimanche, d’une étape courue au sec. / ERIC FEFERBERG / AFP

Chacun aura aujourd’hui sa façon de combler l’attente, de faire en sorte que 17 heures arrive plus vite, mais il y en aura une qui sera plus ludique que les autres : allumer la télévision quatre heures avant « le » match et regarder… le Tour de France.

La Grande Boucle ramène les coureurs à l’humilité, mais ses organisateurs savent rester humbles devant la Coupe du monde. S’inclinant devant l’importance d’une finale à l’issue de laquelle les Bleus peuvent décrocher un deuxième titre de champion du monde de football, ils ont raccourci l’étape du jour. Celle-ci aurait dû partir de Compiègne (Oise) – hommage au centenaire de l’Armistice (signée dans la clairière de Rethondes, juste à côté) et clin d’œil à Paris-Roubaix (qui part de la sous-préfecture de l’Oise depuis 1977). C’est devant le Tour qu’il faudra digérer le gigot dominical. Entre l’arrivée à Roubaix (Nord) et les hymnes à Moscou, il y aura juste assez de temps pour remplir le bac à glaçons.

La première semaine de course avait tant promis qu’elle a finalement déçu. Il y eut le pire de la tension de la plaine – les chutes – mais jamais le meilleur, comme si tout le peloton avait décidé que puisqu’on lui préférait les Bleus, il irait jusqu’aux Alpes en traînant des pieds, surtout ces deux derniers jours où le peloton a gardé des forces pour la bataille. Il faudra une étape folle pour inscrire ce début de Tour dans les mémoires ; cela tombe bien : elle le sera.

« Je n’ai pas les mots pour dire à quel point je n’ai pas envie de faire l’étape de demain », twittait hier Thomas De Gendt, de l’équipe belge Lotto-Soudal. « Une boucherie », prévoit le grimpeur de Fortuneo Amaël Moinard, qui craint un peloton haché menu à l’arrivée sur le premier passage pavé, car « d’une quatre voies on arrive sur un chemin ». « L’étape la plus dure du Tour », se répète depuis huit mois Romain Bardet, qui en a reconnu les pavés juste avant de venir en Vendée. Qu’il se console : elle aurait pu l’être encore plus.

« Le jour où je suis allé dans le Nord pour tracer le parcours, j’ai appelé Christian [Prudhomme] à la fin de la journée, raconte Thierry Gouvenou, directeur technique du Tour de France. Je lui ai dit : “J’ai deux options, une à 26 kilomètres de pavés, une à 32 km.” Là, j’ai entendu un silence au bout du fil. »

Pour le directeur du Tour, c’était un peu trop : il y en aura finalement 21,7 km, sur quinze secteurs. C’est déjà un record depuis 1983 (treize km en 2010, 2014 et 2015), et c’est ce qui effraie les coureurs. Gouvenou s’excuse presque :

« Quand c’est court, on ne peut avoir que le mauvais côté des pavés, c’est-à-dire une chute et non une sélection. »

L’enfer commence à 70 kilomètres de l’arrivée

« Les premiers arrivent au bout de quarante bornes, donc si un leader est lâché très tôt, le retard va se compter en minutes », poursuit l’ancien coureur, qui se pourlèche les babines.

Ce n’est pas que Thierry Gouvenou soit sadique, mais en tant qu’homme de classiques (7e de Paris-Roubaix en 2002), il a toujours trouvé les spécialistes de grands tours un peu timides. Ces plus de 20 kilomètres de pavés sont l’assurance de voir le peloton se scinder en plusieurs parties, ce qu’il n’a pas eu le loisir de voir depuis la Vendée.

C’est dans les trente kilomètres précédant le premier secteur que le risque de chutes sera le plus important. Car une douzaine d’équipes sont encore persuadées que leur leader peut monter sur le podium, et elles voudront donc aborder le premier secteur dans les trente premières positions. Par ailleurs, au moins trois équipes joueront la victoire d’étape (Bora-Hansgrohe, Groupama-FDJ et Quick-Step, par exemple) et là, ça devient de l’arithmétique : on vous épargne les calculs mais en gros, ça ne passe pas.

Dès Warlaing, le parcours épouse presque parfaitement le parcours de Paris-Roubaix

Les trois premiers secteurs ne sont pas pour rire, mais enfin, ils sont suivis de portions bitumées pour récupérer, se regrouper, se ravitailler. L’enfer commence vraiment un peu plus loin, à soixante-dix kilomètres de l’arrivée.

C’est au 356 de la rue Firmaine, devant une maison de brique avec un toit en ardoise, la plus belle du lotissement, que les coureurs entreront dans ces 90 minutes de secousses et d’imprévus, le temps d’un match. Il sera 14 h 45 environ. Le peloton croisera le panneau de la sortie de Warlaing (Nord), quittera le hameau et entrera plein champ, exposé au vent entre deux labours. L’entrée est étroite, cinq coureurs n’y passent pas de front.

« Il ne faudra pas rater l’entrée », prévient Gouvenou, car les deux premiers secteurs s’enchaînent sur un total de 4 500 mètres : bien assez pour créer de premières cassures. Dès Warlaing, le parcours épouse presque parfaitement le parcours de Paris-Roubaix, avec deux crochets pour éviter le carrefour de l’Arbre et une partie du secteur de Mons-en-Pévèle.

On ne verra pas arriver 17 heures.

Départ à 11 h 50. Arrivée prévue vers 16 h 30, ce qui vous laissera une demi-heure.

Le Tour du comptoir : Dreux

Chaque matin du Tour, « En danseuse » vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.

Où l’on apprend que Dreux n’est pas mis en valeur sur l’A13.

J’ai regardé le début de la 8e étape au Celtique, avec la patronne du Celtique et le patron du Celtique, qui n’ont rien de celtique. « J’ai repris l’affaire après un monsieur qui était là depuis 37 ans, je pouvais pas changer le nom du bar », dit ce dernier.

Le départ fictif, un défilé de quelques kilomètres avant le début des hostilités (qui n’ont en fait débuté qu’à 300 mètres de l’arrivée hier), fait rouler les coureurs à travers Dreux (Eure-et-Loir). A chaque fois que le peloton passe en un lieu qu’elle reconnaît, la patronne le signale à l’assemblée. « Ah c’est le G20. » « Ah, là c’est le pub. » « Ah, ça c’est chez Francine. » « Ah, voilà le château d’Anet. » Pas d’arnaque possible, l’étape démarre bien à Dreux.

« Ah, c’est là qu’on s’est fait contrôler par les flics. » Un 31 décembre au volant, mais l’éthylotest avait été un succès. L’hélicoptère de France Télévisions offre de superbes vues du ciel. La patronne s’extasie. « C’est quand même vachement beau vu d’en haut. »

Voici donc Dreux. Il semble évident que Dreux est desservi par son nom. Dreux. Dreux. Dreux. C’est vraiment pas joli, « Dreux ». Pourtant, Dreux, c’est joli, c’est même ravissant. La chapelle royale, le beffroi, les maisons à colombage, les petits ponts qui enjambent la Blaise. Oui, ravissant. « Le problème, c’est que Dreux est très mal vendu au niveau touristique, nous dit le patron. Chartres est connu dans le monde entier avec la cathédrale et tout, alors que Dreux, y a plein de choses à voir, mais c’est même pas indiqué sur l’A13, y a pas un panneau, rien. »

La patronne embraye : « Dreux a mauvaise réputation, c’est juste connu parce que c’est la première ville où le Front national est arrivé au pouvoir en France [en 1983]. » Je m’apprêtais à lui dire que pour moi, Dreux était surtout la première ville où le FN était arrivé au pouvoir en France. Je m’abstiens. « C’est de l’histoire ancienne, mais cette réputation nous colle à la peau. »

A l’écran, le présentateur de France Télévisions se trouve déjà à l’arrivée, à Amiens. « Oh, Amiens, on y est déjà allés », dit la patronne. « Et puis on est aussi allés dans le Jura, là où le Tour passait l’an dernier. » « Bin… Partout où on est allés, ils y sont allés aussi », résume le patron. Disons qu’au bout de 105 éditions, la liste des endroits où le Tour de France n’est jamais allé commence à se réduire.

Derrière le comptoir, un panneau annonce : « L’apéro recrute, engagez-vous. » Je dérange trois habitués au comptoir pour prendre la photo.

« Ah moi, je me suis déjà engagé aujourd’hui, dit l’un, canon à la main.
Moi j’ai même rempilé, dit l’autre.
- Tous les jours je m’engage, ajoute un troisième.
- C’est important l’engagement », reprend le premier.