Vladimir Poutine (au centre), aux côtés des présidents de la FIFA, de la France, et de la Croatie, à Moscou, le 15 juillet. / SPUTNIK / REUTERS

L’intrusion, à la 52e minute de la rencontre France-Croatie, n’a duré que quelques secondes lorsque deux femmes et un homme, portant des uniformes semblables à ceux de la police, sont parvenus à zigzaguer sur la pelouse du stade Loujniki de Moscou. Affilié aux Pussy Riot, un groupe punk anti-Poutine formé en 2011, le trio voulait attirer « l’attention sur les atteintes aux droits de l’homme en Russie ».

Ce fut le seul couac de ce Mondial 2018, organisé pour la première fois en Russie, qui s’est achevé dimanche 15 juillet avec la remise de la Coupe du monde à l’équipe de France de Didier Deschamps par Vladimir Poutine. Gianni Infantino, président de la FIFA, n’avait pas attendu la finale pour décerner au tournoi le titre de « meilleure Coupe du monde de tous les temps ». « La Russie a changé, a-t-il insisté dès vendredi depuis le stade Loujniki. Tout a été magnifique. »

De fait, en un mois de compétition, la Russie est parvenue à gommer l’image déplorable qu’elle avait dans l’univers du football, notamment depuis l’Euro 2016, lorsque ses supporteurs s’étaient violemment accrochés avec leurs homologues anglais sur le Vieux-Port à Marseille. Interdits de stades, les hooligans russes sont restés invisibles, tout comme leurs bannières provocantes. Pas l’ombre d’une bagarre au cours des 64 matchs de la compétition. Pas de cris racistes non plus, ni d’onomatopées du même acabit.

Supporteurs chouchoutés

Les autorités ont même toléré l’ouverture d’une « Maison de la diversité » à Moscou, devenue, le temps du Mondial, un refuge pour les minorités sexuelles. Quoique régulièrement inspecté par des agents du FSB, les services de sécurité russes, le lieu, installé dans un théâtre à l’initiative du réseau Football Against Racism in Europe et de la FIFA sous la pression des défenseurs des droits humains, a accueilli des jeunes gays et lesbiennes venus regarder sur écran géant les matchs au milieu de drapeaux arc-en-ciel. Une première en Russie, où l’homophobie est ancrée et où une loi de 2013 punit toute manifestation homosexuelle pour « propagande auprès de mineurs ».

Les craintes formulées dans les médias étrangers avant le tournoi se sont dissipées. La consigne du Kremlin a été suivie à la lettre : montrer sous son meilleur jour le pays, plombé sur le plan international par le conflit ukrainien, l’ingérence dans les élections américaines ou l’affaire Skripal – du nom d’un ex-agent double empoisonné avec sa fille au Royaume-Uni. La Russie, il est vrai, n’a pas lésiné sur les moyens, avec plus de 9,5 milliards d’euros investis pour séduire la planète foot.

Partout, les quelque 750 000 supporteurs venus du monde entier ont été chouchoutés par un public chaleureux, des policiers polis et quelque 17 040 volontaires enthousiastes déployés dans les onze villes hôtes. « Je pense qu’il n’y a jamais eu autant d’étrangers dans notre pays », s’est réjoui Alexeï Sorokine, le patron du comité d’organisation russe.

En se propulsant en quarts de finale, la Sbornaïa, l’équipe nationale que personne n’attendait à ce niveau, a elle aussi rempli son contrat, entraînant d’inhabituelles manifestations de liesse chez les supporteurs russes gagnés par l’ambiance de carnaval. Dans les fan-zones officielles et spontanées, des milliers de personnes, toutes nationalités confondues, se sont retrouvées chaque soir. Une bouffée d’oxygène pour beaucoup de Russes – dont 68 % n’ont jamais voyagé à l’extérieur des frontières –, qui plus est dans un pays où les rassemblements sont soit interdits soit très encadrés.

« Vous êtes russe ? Alors ce sera interdit »

« Quand la Coupe du monde se terminera, on pourra boire de la bière comme ça [dans la rue] ? », s’est enquis un jeune homme auprès de deux policiers en faction dans la rue Nikolskaïa, devenue le lieu de rassemblement préféré à Moscou. « Vous êtes russe ? Alors ce sera interdit », lui ont répondu les deux fonctionnaires. La vidéo de l’échange s’est taillé un vif succès sur les réseaux sociaux.

La Russie peut également se targuer d’avoir testé avec succès la « fan ID », la carte d’identité des supporteurs pour la première fois dans un Mondial, qui a permis d’alléger les contraintes de visa et de voyager gratuitement dans les transports.

L’équipe d’Angleterre – seul pays dont les autorités avaient décidé de boycotter le Mondial en réaction à l’affaire Skripal – a été « très bien traitée », soulignait, samedi 14 juillet, le sélectionneur, Gareth Southgate, sans qu’il ait été besoin de lui poser la question. « On a beaucoup parlé des relations entre nos deux pays mais, d’un point de vue personnel, nous n’aurions pas pu recevoir meilleur accueil. »

Absent des stades, hormis lors des cérémonies d’ouverture et de clôture, même pour soutenir l’équipe russe, le président Vladimir Poutine s’est offert une tournée mondiale d’entretiens en recevant plus d’une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement. Presqu’un Ballon d’or diplomatique.

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