« Nous sommes au pouvoir et nous allons tout faire pour y rester. » Dimanche 15 juillet, sur les antennes de la chaîne privée Spectrum Télévision (STV) de Douala, capitale économique du Cameroun, Mouthe Ambassa, homme d’affaires et membre du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) affichait son assurance.

Deux jours plus tôt, Paul Biya, 85 ans, président de la République depuis trente-six ans, annonçait sur son compte Twitter sa candidature à un septième mandat pour la présidentielle prévue le 7 octobre. Depuis, ses partisans louent sa « vivacité », « son amour du peuple camerounais », « sa sagesse », « son travail exemplaire ». L’opposition, pas surprise de sa candidature, dénonce de son côté, son « bilan catastrophique ».

« Donner une chance aux jeunes »

« Pourquoi Paul Biya ne peut-il pas céder sa place aux jeunes ? Pourquoi, alors que son bilan est catastrophique ? », s’interroge John Fru Ndi. En février, à 77 ans, le président du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition, avait, à la surprise générale, décidé de ne pas se porter candidat à la présidentielle. Le « Chairman » avait préféré « donner une chance aux jeunes de son parti ». Joshua Osih, 49 ans, avait par la suite été désigné candidat du parti.

« Paul Biya n’a jamais gagné une élection. Il a toujours utilisé l’argent pour corrompre le peuple. Il n’a jamais permis aux Camerounais de voter librement », explique au Monde Afrique John Fru Ndi. Pour appuyer ses dires, le fondateur du SDF (en 1990) énumère les multiples problèmes auxquels font face la majorité des Camerounais depuis plus de trois décennies : pas d’accès aux soins de santé, à l’eau potable, à l’éducation, à l’électricité, un taux de chômage élevé, la pauvreté grandissante.

Plus grave, celui qui a défié le chef d’Etat actuel à trois reprises (1992, 2004 et 2011), souligne que la crise qui secoue depuis deux ans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, les deux régions anglophones du pays représentant environ 20 % de la population, montre « l’incapacité de Paul Biya à diriger le Cameroun ».

Débutée par une revendication corporatiste qui exigeait le respect des spécificités anglophones au sein de la nation camerounaise, la crise s’est muée au fil des mois en un conflit armé entre les forces de défense et des militants pacifiques devenus sécessionnistes. Le 1er octobre 2017, ils revendiquaient symboliquement l’indépendance de leur République autoproclamée d’« Ambazonie ». Depuis novembre 2017, plus de 80 militaires et policiers ont été tués, selon le gouvernement, près de 135 selon le décompte d’International Crisis Group (ICG).

« Si, en trente-six ans, il n’a pas pu apporter quelque chose de bien aux Camerounais, ce n’est pas les sept prochaines années qu’il le fera. Monsieur Biya confirme juste sa méchanceté vis-à-vis des Camerounais et du Cameroun », dénonce Serge Espoir Matomba, 38 ans, candidat à l’élection présidentielle du Peuple uni pour la rénovation sociale (PURS), un parti d’opposition. Quant à Etonne Etonde, candidat indépendant du mouvement Les Dreamers, il estime que « jamais dans l’histoire de la République du Cameroun, la fonction de président n’aura été autant affaiblie ».

« Jusqu’à sa mort »

Face à cette situation, que faire pour renverser celui qui règne sans partage sur le Cameroun depuis 1982 ? « Une coalition des candidats de l’opposition », répondent experts et hommes politiques. Joshua Osih et Akere Muna, – fils de Salomon Tandeng Muna, qui fut premier ministre du Cameroun anglophone de 1968 à 1972 alors que le pays était encore une fédération –, tous deux candidats à la présidentielle, confiaient au Monde Afrique être « prêts » à former une coalition à certaines « conditions ».

« Paul Biya ne gagnera pas. Les Camerounais ont le choix entre la continuité après trente-six ans et le changement qui passe par l’alternance. L’opposition est en pleine réflexion. Les négociations sont en train d’être menées », souligne Jean Robert Wafo, « ministre » du « shadow cabinet » chargé de l’information et des médias du SDF.

Dans les rues, loin de cette confiance, de nombreux Camerounais semblent résignés à « accepter Paul Biya au pouvoir jusqu’à sa mort ». « Vous pensez que quelqu’un d’autre que Paul Biya peut gagner ? On n’est pas au Burkina Faso ou au Zimbabwe où l’armée, la principale force de défense d’un pays, peut faire des miracles et soutenir une manifestation. Ici, tout appartient à Paul Biya. Le gouvernement, l’armée, la police, les mairies, les chefs traditionnels, les enseignants d’université… Ils vivent pour et par Paul Biya et, dans ce contexte, peu de surprises sont possibles », analyse Samuel, étudiant en sciences politiques.

« Depuis trente-six ans, il promet la construction des routes, des hôpitaux, l’école pour tous, le travail pour tous et ne les réalise pas. Mais on continue de voter pour lui. Même nos professeurs ont du mal à expliquer les raisons d’un tel constat politique », ironise près de lui, l’une de ses camarades.