L’étape entre Arras et Roubaix, le 15 juillet. « Les pavés sont sans pitié. Et les coureurs qui les empruntent le sont tout autant »... / BENOIT TESSIER / REUTERS

Chronique. « Soyez forts », « comportez-vous en guerriers », « faites preuve de courage pour cette grande bataille »… : immanquablement, j’ai entendu des sentences de ce genre dans le bus, au matin de l’étape des pavés, celle reliant Arras à Roubaix, dimanche 15 juillet. Les directeurs sportifs aiment user de rhétorique guerrière pour motiver leurs troupes. Est-ce à dire que le cyclisme est un combat, un affrontement d’ordre militaire où il s’agit par tous les moyens de terrasser ses adversaires ?

Pour sûr, le cyclisme est un sport violent. Cette étape de Roubaix en a fourni la preuve. Il y a eu des chutes. Des coureurs en sortent blessés, meurtris dans leur chair. Certains ont été contraints de baisser les armes, d’abandonner. Les pavés sont sans pitié. Et les coureurs qui les empruntent le sont tout autant.

« L’homme est un loup pour l’homme », disait Plaute, repris par Hobbes. Inhabituellement transféré en juillet, « l’Enfer du Nord » leur a donné raison. Le peloton est une meute au sein de laquelle il n’est permis aucune faiblesse, sous peine d’être immédiatement achevé par ses congénères. Un sport comme le cyclisme révèle la part d’animalité présente en chacun de nous. Je n’étais plus le même au départ d’Arras, un dossard sur le dos, juste une bestiole sur une bécane ayant retrouvé ses instincts primaires, et dont la seule maxime est : « dominer ou être dominé ». Il n’y a rien de plus proche de l’état de nature décrit par Hobbes – cette « guerre de tous contre tous » – qu’une course cycliste.

Le Tour, une métaphore géante

Mais dire qu’une course s’apparente à une guerre ne veut pas dire qu’elle en est une. Le philosophe anglais du XVIIe siècle explique dans le Léviathan que l’état de guerre originel doit à tout prix être dépassé. Où situer alors ces pratiques athlétiques qui ont pris tant de place dans nos vies ? Résurgence incontrôlée d’une agressivité enfouie, ou au contraire garde-fou de nos pulsions les plus animales ?

Il me semble que la fonction du sport, en tant qu’activité physique « d’apparence » guerrière, est précisément de parer à toute tentation pour la guerre réelle. Plutôt que de succomber sans réserve à mes penchants naturels belliqueux, je les transfère dans le cadre institutionnalisé du sport, avec ses règles, ses arbitres, ses instances, en une forme de sublimation. Une course cycliste ou un combat de boxe ne seront jamais que des combats symboliques. Si le sport est violent, il n’est pas la guerre. Si mon concurrent est un adversaire, il n’est pas un ennemi.

Si mes directeurs sportifs continuent d’utiliser un lexique militaire lors de leurs briefings, c’est presque par poésie. Ils savent bien que tout cela, au fond, n’est qu’un jeu, certes sérieux et dangereux. Que le Tour n’est qu’une métaphore géante. Ayant compris cela, je peux rêver de courir en champion, étymologiquement : « celui qui se produit sur le campus, le champ de bataille ».

Guillaume Martin (Wanty-Groupe Gobert), coureur cycliste, est actuellement 44e au classement général du Tour de France.