Documentaire sur France 3 à 23 h 15

La porte menant au tribunal pour mineurs du palais de justice à Paris, le 1er mars 2017. / GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

En ouverture de leur documentaire consacré à la justice des mineurs, les deux réalisateurs, Paule Muxel et Bertrand de Solliers, posent eux-mêmes les limites de leur travail. Pendant les mois passés dans les couloirs, les bureaux et les salles d’audience du tribunal pour enfants de Paris, ils n’ont pu filmer qu’une toute petite part de ce qui s’y jouait. La majorité des familles qu’ils ont croisées ont refusé de se laisser filmer. Seules quelques-unes, « issues de milieux défavorisés », ont donné leur accord. « Les familles de milieu aisé ont toutes exprimé un “non” catégorique », précisent les auteurs. Leur démarche de transparence et d’honnêteté permet d’entrer dans ce film, d’apprécier pleinement ce qu’il montre, sans prétention à l’exhaustivité et sans en tirer, comme trop souvent, de leçon générale. C’est précieux.

Deux mondes se font face. Celui de la justice, procureurs, juges, éducateurs, avec leur vocabulaire propre, parfois abscons, et la conscience plus ou moins aiguë qu’ils ont de leur métier. Et celui de cet échantillon de mineurs délinquants, filmés parfois en présence d’un de leurs parents, rarement les deux. Certains sont encore des enfants, d’autres deviendront dans quelques mois des adultes. Quelle décision prendre pour retenir du bon côté de la ligne l’adolescent en bascule, tout en lui ­faisant mesurer la gravité de ses actes ? Et avec quels moyens ?

Tiraillement quotidien

Un éducateur regarde avec lassitude le grand ado vautré sur une chaise. « Et la loi ?, lui demande-t-il. – C’est-à-dire ? », répond le ­garçon, qui s’obstine à ne pas comprendre en quoi le « petit business » de stupéfiants auquel il se livre serait un problème. Deux juges pour enfants discutent dans un bureau du cas d’un mineur qui vient d’être interpellé pour en avoir agressé sexuellement un autre, dans le foyer où ils ont été placés. Il est en récidive, il faut lui trouver d’urgence un nouveau lieu d’hébergement. « Je vais le mettre là, parce qu’il va se retrouver avec des plus grands, il osera moins… », dit le juge à son collègue. Un temps de réflexion, un soupir. « Après, bien sûr, il peut se retrouver victime… »

Dans un bureau voisin, un autre juge soupire en lisant le dossier du mineur qui va lui être présenté. « Mais qu’est-ce que je vais en faire de celui-là ? » Il a 12 ans, il est poursuivi en récidive de racket. Lorsque le juge lui annonce sa décision de le placer en foyer, le garçon explose littéralement sous les yeux de son père impuissant. « MDR, j’irai pas ! Au nom du Coran, j’irai pas ! » Plus loin encore, le découragement guette un troisième juge face à l’apathie hostile d’un jeune familier de son service. « Pourquoi n’allez-vous pas aux rendez-vous avec votre éducateur ? » Un haussement d’épaules lui répond. « Pourquoi avez-vous arrêté le foot ? – Ça m’intéressait plus. – Qu’est-ce qui vous intéresse ? – Ben, j’sais pas. – Et la boxe ? Ça vous dirait ? » Silence. Le juge patiente. Un « ouais » ­d’ennui finit par échapper aux ­lèvres du garçon.

Ils sont saisis là, à un âge où tous les espoirs devraient encore être possibles. Ce conditionnel est la couture invisible du documentaire. Par fonction, les juges des enfants ont un devoir ontologique d’espérance. Mais, de tous les magistrats, ce sont aussi ceux qui sont confrontés chaque jour aux situations de plus grande désespérance. La force du documentaire de Paule Muxel et Bertrand de Solliers est de montrer leur ­tiraillement quotidien, entre réparer, prévenir et punir.

Tribunal pour enfants, de Bertrand de Solliers et Paule Muxel (Fr., 2018, 52 min).