Le logo de Qdrops.

Apple et Google ont retiré de leurs magasins d’applications en ligne une application à succès baptisée Qdrops, qui diffusait des théories du complot. Selon la chaîne américaine NBC, qui a publié lundi 16 juillet une vaste enquête sur l’application, Qdrops figurait depuis plusieurs mois dans les classements des apps les plus vendues sur la plate-forme d’Apple.

Ces deux dernières semaines, l’application avait même atteint le top 10 des applications payantes les plus populaires de la catégorie « divertissement de l’App Store », détaille NBC, qui affirme qu’Apple et Google ont supprimé l’application après les appels de la chaîne.

Les messages cryptiques (les « drops », qui ont donné leur nom à l’application)

Qdrops incarnait la partie émergée d’une vaste théorie du complot, très populaire au sein de l’extrême droite américaine. Elle est bâtie autour de la figure énigmatique de « Q », présenté comme un Américain patriote détenant une accréditation « secret défense Q », de très haut niveau. Q publierait à intervalles réguliers des messages cryptiques (les « drops », qui ont donné leur nom à l’application) à destination des authentiques patriotes.

Qdrops recensait les publications de nouveaux messages sur le forum 4chan, où la figure de Q est née, et qui est aussi l’un des points de ralliement en ligne des supporteurs de Donald Trump. L’application, vendue un dollar, envoyait une notification à ses utilisateurs à chaque nouvelle publication d’un drop. Généralement publiés sous la forme de questions, les messages de Q invitent leurs lecteurs à opérer par eux-mêmes des rapprochements — une technique classique des propagateurs de théories du complot.

Des messages attribués à « Q » et publiés sur 4Chan. / 4Chan

Théories alambiquées

Autour de Q s’est bâtie une classique théorie du complot. Selon ses partisans, un événement tragique et apocalyptique doit bientôt se produire, dans lequel Donald Trump jouera le rôle de sauveur. Selon d’autres variantes de la théorie, le président américain procédera à des arrestations massives de « politiciens corrompus », aux premiers rangs desquels Barack Obama ou Hillary Clinton, afin de « purger » le pays de ses « ennemis intérieurs ».

La théorie du « pizzagate » est constituée d’e-mails détaillant des commandes de pizzas

Q propage notamment très largement la théorie du complot dite du « pizzagate », l’une des plus étranges de la campagne américaine de 2016, qui affirme que le Parti démocrate a organisé un réseau pédophile basé dans une pizzeria. La seule base de cette théorie est constituée d’e-mails détaillant des commandes de pizzas, issus du piratage de la boîte courriel du directeur de campagne de Hillary Clinton, et publiés en ligne en 2016. L’émergence et la diffusion de cette théorie, dont l’origine exacte demeure inconnue, ont largement été facilitée par l’extrême droite américaine.

Particulièrement délirante, la théorie des « Qdrops » jouit pourtant d’un important succès aux Etats-Unis. L’actrice, productrice et réalisatrice Roseanne Barr (Roseanne), soutien affirmé de Donald Trump et propagatrice du « pizzagate », y a fait plusieurs clins d’œil appuyés sur les réseaux sociaux. Le mot-clé #qanon reçoit chaque jour sur Twitter un bon millier de nouveaux messages, et des groupes Facebook fermés consacrés à Q comptent plusieurs dizaines de milliers d’abonnés. L’application Qdrops, mise en ligne par un couple vivant en Caroline du Nord, était aussi un succès commercial.

Désinformation, vertu et profits commerciaux

Apple touchait 30 % des ventes de Qdrops, comme elle le fait pour toutes les applications

Le fait que cette application ait pu être vendue par Apple et Google pendant plusieurs mois soulève aussi des questions sur les pratiques de modération de ces entreprises. Durant les débats sur la désinformation, en France comme en Europe, Apple s’est à plusieurs reprises vantée d’avoir un modèle plus « vertueux » que ses concurrents. En effet, contrairement à Google ou Facebook, dont les publicités sont largement utilisées par les adeptes des théories du complot pour propager leurs idées ou monétiser leurs sites, Apple affirmait ne pas tirer profit des campagnes de désinformation. Mais l’entreprise touchait 30 % des ventes de Qdrops, comme elle le fait pour toutes les applications vendues sur sa plate-forme.

Fin 2017, Tim Cook, le PDG d’Apple, jugeait que la désinformation était « le problème numéro un » de notre époque. « Nous vérifions attentivement chaque application, et nous ne pensons pas que nous devons laisser tout le monde publier [sur notre plate-forme] », renchérissait-il en avril.

Contrairement à Google et Facebook, les services d’Apple n’ont pas été mis en cause dans l’enquête en cours aux Etats-Unis sur la campagne d’influence russe durant l’élection présidentielle de 2016.

L’influence de Q ne s’est pas limitée aux réseaux sociaux. Comme le rappelle NBC, plusieurs faits divers liés à cette théorie du complot ont eu lieu ces derniers mois. En juin, un homme armé, affirmant être un partisan de Q, avait bloqué l’accès du pont du barrage Hoover. Il réclamait la publication de documents confidentiels.