Les hasards de sa tournée internationale ont fait que son unique concert en France, au Bataclan à Paris, lundi 16 juillet, tombait le jour de son 70e anniversaire. La salle comble – largement latino-américaine – et conquise d’avance l’a naturellement accueilli en chantant « Compleano feliz » (« Joyeux anniversaire »). Ruben Blades a été fidèle à lui-même : simple et immense. La mise est sobre : costume et t-shirt noirs, chaussures de sport à l’identique, sans oublier son éternel petit chapeau à bords relevés et ses lunettes fumées qu’il a rapidement quittées. Sobre son jeu de scène l’est également : petits pas de danse, ponctuations de maracas, mise en retrait au sein de l’orchestre pour laisser les solistes dans la lumière. Mais, quelle aisance volubile avec son public qu’il traite comme un vieil ami, au point d’accepter les intempestives demandes d’autographes au milieu d’une chanson.

Depuis ses débuts avec le Fania All-Stars dans les années 1970, Ruben Blades s’est imposé comme un maître non seulement par ses qualités vocales – voix chaude et puissante – mais surtout comme un auteur-compositeur qui a su faire de la salsa une arme de critique sociale et politique, un outil de description de la vie quotidienne, du sort des plus humbles comme de la palette des sentiments humains. Le tout, en gardant l’irrésistible énergie, l’impulsion rythmique et la joie radieuse d’un genre musical qui fédère le monde latino-américain et au-delà.

Sur scène, Ruben Blades était accompagné par Roberto Delgado & Orquesta, la formation de dix-neuf musiciens présente sur Salsa Big Band (2017) et précédemment sur Son de Panama (2015). Treize souffleurs (trompettes, trombones et saxophones) serrés comme pour une photo de classe derrière les percussionnistes, cœur battant de la formation, deux claviers, sous la houlette du bassiste Roberto Delgado qui, Coupe du monde oblige, n’était pas sans évoquer un sosie du footballeur Adil Rami. Dirigé par le bassiste, l’orchestre déploie une puissance de feu impressionnante – que la sono a mis un peu de temps à maîtriser – et un savoureux mélange d’exubérance et de mise en place irréprochable.

Une salle chauffée à blanc

Deux heures durant, Ruben Blades a passé en revue les succès qui ont jalonné sa carrière. Ouvrant avec Decisiones, repris par une salle chauffée à blanc, il devait conclure par l’inévitable et désiré Pedro Navaja chanté à l’unisson par le public, non sans en avoir précisé les sources : L’Opéra de Quat’sous, de Bertolt Brecht et Kurt Weill, puis le Mack the Knife chanté par Bobby Darin qu’il a repris en préambule. Entre les deux, défilent Las Calles qui faisait la part belle au trompettiste cubain Juan Carlos « Wichy » Lopez ; Arayué (1989 et repris sur Salsa Big Band) ; plusieurs titres des années 1970 comme Buscando Guayaba (gravé avec Willie Colon), Juan Pachanga et Paula C (enregistrés avec Louie Ramirez, des années 1990 (Amor y Control) ou issus de son dernier enregistrement, tel Adonde ?. En rappel, Maestra Vida, thème éponyme du premier opéra salsa créé avec Willie Colon renvoyait à 1980.

Outre Mack the Knife, Ruben Blades a plusieurs fois franchi la frontière entre la salsa et le jazz en chantant en anglais, Watch What Happens, de Michel Legrand, et The Way You Look Tonight, le standard de Jerome Kern avec lequel il a rendu hommage à l’une de ses idoles Frank Sinatra. Avant d’interpréter Todos Vuelven (« Tous retournent à la terre où ils sont nés »), Ruben Blades avait rappelé la vague de solidarité avec la France soulevée par les attaques terroristes qui, le 13 novembre 2015, avaient fait 137 morts et plus de 400 blessés dans cette même salle du Bataclan. Martelant les mots pour leur donner plus de force, il a réaffirmé son message : la mort commence avec l’oubli.

« Salsa Big Band » par Ruben Blades et Roberto Delgado y Orquesta, 1 CD Ruben Blades Productions. rubenblades.com/salsa-big-band