Nathalie Loiseau, la ministre chargée des affaires européennes, le 17 juillet à l’Assemblée nationale, à Paris. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Dans la salle du tribunal de la « Cour des affaires exceptionnelles à caractère communautaire », l’Europe est sur le banc des accusés. Lundi 16 juillet, à la Maison de la poésie (Paris 3e) le procès de l’Europe est mené par les comédiens de l’association marseillaise Les Têtes de l’Art, qui campent les rôles du président du tribunal, de la procureure, de l’avocat de la défense et du greffier. Les chefs d’inculpation sont nombreux : « entrave à la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen », « atteinte au principe de solidarité », « publicité mensongère et tromperie sur la nature du projet européen ».

Autant de critiques qui résonnent avec l’actualité et pointent du doigt les difficultés de l’Union européenne. Deux témoins, qui connaissent bien l’accusée mais qui ignorent les questions qui leur seront posées, sont appelés à la barre face à un public de jurés : la ministre française Nathalie Loiseau, et l’ancien secrétaire d’Etat italien Sandro Gozi, tous deux chargés des affaires européennes.

Ce procès entre dans le cadre des consultations citoyennes sur l’avenir de l’Europe, proposition de campagne du candidat Emmanuel Macron. Depuis le lancement de ce processus, le 17 avril à Epinal, dans les Vosges, plus de 400 événements ont déjà été organisés dans plusieurs Etats membres, en premier lieu la France. De formes variées, ils visent à rassembler les propositions des Européens pour construire le projet de refondation autour de leurs préoccupations. Mais ce dispositif peine à trouver un écho dans les médias et auprès du grand public.

Public hilare

Cette fois, Nathalie Loiseau, cheville ouvrière de ces consultations au sein du gouvernement, est entourée de personnages souvent cocasses, d’un public hilare, dans un décor et une ambiance burlesques. A la barre, elle doit répondre des critiques formulées à l’égard de l’Europe concernant la sécurité des Européens, leur nostalgie des frontières et des monnaies nationales, ou le coût du projet commun. Au passage, la ministre vante l’intérêt de la récente loi commune censée protéger les données personnelles des citoyens, une première dans le monde. Elle reconnaît cependant qu’en matière de politique sociale, l’Europe « manque d’ambition ». En mai 2018, selon Eurostat, le chômage s’élevait à 16,8 % chez les jeunes de la zone euro de moins de 25 ans. Pour autant, à l’en croire, la disparition de l’Europe n’est pas la solution : « Les jeunes sont les premiers frappés par la crise. Mais sans Europe, il n’y a pas de filet de sécurité. »

Sandro Gozi, deuxième témoin à comparaître, sera interrogé sur le manque de clarté des institutions de l’Union. « En principe, ça devrait être simple. Mais dans la pratique, le nombre de comités, de fonctionnaires, de bureaucrates complique les choses. » Et pour revenir à un fonctionnement sain de l’Union, l’ancien secrétaire d’Etat italien propose de se rapprocher du contenu des traités : « Les traités sont bons. Il faut prendre du recul, observer l’Europe de l’extérieur. On voit alors tout ce qu’on a à perdre. » « Est-ce bien normal ? », lui demande la procureure, en dénonçant le « simulacre de démocratie » que représenterait, selon elle, le Parlement européen, privé du pouvoir d’initiative des lois. N’ayant le choix qu’entre oui et non, Sandro Gozi répondra « non », dans un sourire gêné, sous les rires du public.

La pièce se termine sur une scène comique où le réquisitoire et la plaidoirie sont prononcés en même temps, dans une cacophonie générale, puis le président du Tribunal invite les jurés, non pas à rendre leur verdict, mais « à [se] forger [leur] intime conviction » sur l’avenir de l’Europe.

Propositions des citoyens

Si le spectacle se veut participatif, la véritable « consultation » ne commence qu’une fois la pièce terminée. A la sortie, les spectateurs sont invités à écrire leurs propositions pour l’Europe avant de les glisser dans une urne. Ils peuvent également décrire leurs peurs et leurs espoirs sur des panneaux installés à cet effet dans le couloir menant à la salle de spectacle. Ainsi, le « programme Erasmus », « plus de soixante ans de paix », l’envie d’une « vraie force contre Trump » inspirent les Européens pour l’avenir. Le public s’inquiète cependant de la « perte d’influence de la France » ou encore des « disparités ».

« L’intérêt de ce rendez-vous, c’est de comprendre pourquoi il est important de conserver l’Union. Les gens ne se sentent pas assez concernés par l’Europe », Kenza, avocate

Les spectateurs sortent toutefois requinqués de l’audience. Alix et Eva, étudiantes de 23 et 21 ans, plébiscitent l’événement, car il clarifie le fonctionnement de l’Europe auprès des jeunes : « Tout le monde devrait participer à ce genre d’occasion ! » Pour Kenza, avocate en droit public, « l’intérêt de ce rendez-vous, c’est de comprendre pourquoi il est important de conserver l’Union Européenne, de ne pas la laisser disparaître. Les gens ne se sentent pas assez concernés par l’Europe. »

La salle affichait pourtant complet, et pour Nathalie Loiseau, l’objectif semble atteint : « Les gens se sont posé des questions tout en se distrayant. » Sur la suite du programme, les propositions des citoyens seront ensuite regroupées. « Nous allons demander à un groupe d’experts complètement indépendants de faire une synthèse de ces consultations. Je n’ai pas voulu que ce soit fait par les gouvernements, car c’est vraiment la voix des citoyens, et il faut que ça le soit de bout en bout », explique la ministre.

Mme  Loiseau n’en a pas fini avec les consultations citoyennes voulues par Emmanuel Macron, puisqu’elles sont censées se tenir jusqu’en octobre 2018, avant de faire l’objet d’une synthèse lors d’un Conseil européen extraordinaire en mai 2019, pour contribuer à fixer l’agenda du continent pour les cinq ans à venir. Quand à la troupe des Têtes de l’Art, elle est déjà en route pour renouveler l’exercice ailleurs en France. Sans ses deux témoins majeurs.