Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur les Champs-Elysées, le dimanche 15 juillet. / NICOLAS KRIEF POUR LE MONDE

« Porter plainte est le seul moyen de se donner une chance d’identifier, puis d’interpeller les agresseurs. » Par la voix de son porte-parole, Frédéric de Lanouvelle, le ministère de l’intérieur a réagi, mercredi 18 juillet, aux dizaines de témoignages, sur les réseaux sociaux, racontant les mains baladeuses, les attouchements, les baisers forcés subis par de nombreuses femmes, sous prétexte de liesse populaire, au moment de la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde. A Paris, deux interpellations ont eu lieu au lendemain du rassemblement de plusieurs centaines de milliers de personnes sur les Champs-Elysées, le dimanche 15 juillet.

Mardi, le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a été le premier à commenter le phénomène, sur Twitter : « Il embrasse de force une femme durant les fêtes de la Coupe du monde : c’est une agression sexuelle punie par la loi », rappelle l’équipe de Marlène Schiappa. La voix du préfet de police de Paris, Michel Delpuech, s’est aussi élevée pour décrire un phénomène qui n’est pas apparu dans le bilan des interpellations effectué par les forces de l’ordre, et pour cause : une grande majorité de victimes ne dépose pas de plainte après de tels attouchements.

« Nous appelons toutes les victimes à porter plainte, répète Frédéric de Lanouvelle. Cela nous est précieux, rien que pour tenter de quantifier le phénomène », qui passe aujourd’hui sous les radars des forces de l’ordre : les chiffres de la direction générale de la police nationale (DGPN) ne montrent pas de tendance à la hausse des plaintes pour agressions sexuelles ces derniers jours dans la majorité des villes de France – à Paris, ils sont même moins importants que sur la même période en 2017.

« Nous, on est là pour le terrorisme ! »

Pendant la finale de la Coupe du monde, Anaïs R. était avec un groupe d’amis sur le cours Saint-Pierre, la fan-zone installée dans le centre-ville de Nantes. Dans la foule, compacte, la jeune femme de 25 ans a soudain senti quelque chose le long de ses jambes. « Au début, je me suis simplement dit que quelqu’un cherchait à se déplacer, sans me poser d’autres questions. J’ai fini par me retourner, et j’ai vu le pénis du gars derrière moi posé sur ma cuisse. »

Après lui avoir envoyé quelques copieuses insultes, Anaïs se déplace de quelques mètres puis quitte la fan-zone, accompagnée d’une amie. « Je ne me sentais pas bien du tout », explique-t-elle. Le jeune homme, qui a nié tout comportement déplacé devant Anaïs et ses amis, est resté un moment à sa place, « comme si rien ne s’était passé ». Autour d’elle, d’autres spectateurs expliquent avoir « vu le pantalon baissé », « s’être douté de quelque chose, sans être sûr ».

« Personne n’est intervenu », observe la Nantaise, qui se dirige alors vers les forces de l’ordre pour leur demander d’intervenir. « Ils m’ont dit : “Nous, on est là pour le terrorisme ! Il faut que vous alliez porter plainte.” » Ce que la jeune femme ne fera pas, persuadée que la procédure serait inutile après avoir déjà dénoncé, dans le passé, ce type d’agissement : « J’ai déjà porté plainte avec des preuves beaucoup plus tangibles, il n’y a pas eu de suites. Qu’est-ce que je pourrais leur dire maintenant ? Je n’ai pas de nom, pas d’adresse… Je ne vois pas trop l’intérêt pour moi. »

« J’aimerais porter plainte et je vais sûrement le faire, considère de son côté Lauren, 24 ans, elle aussi victime d’agressions sur les Champs-Elysées, le soir du titre des Bleus. Cela ne m’empêche pas de penser que c’est inutile au vu de la façon dont ces affaires sont traitées. Nous ne nous sentons pas soutenues et c’est ça le pire », assène la Parisienne.

« C’est bien d’en parler »

Le récit de Lauren débute moins d’une heure après la fin de la rencontre, alors qu’elle remonte l’avenue vers l’arc de Triomphe avec une amie. « Nous avons commencé à sentir des mains nous attraper les seins, les fesses, le pubis. C’est arrivé une vingtaine de fois. Il faut s’imaginer une masse de bras qui vous attrapent et vous tirent à chaque pas pour vous empêcher d’avancer tout en vous tripotant », se remémore Lauren, qui n’a pas eu le temps d’identifier ses agresseurs, tout en étant certaine d’une chose : « Tous étaient des hommes. »

Pour les deux femmes, la publicité de leurs expériences peut participer à faire évoluer les mentalités, chez les auteurs de ces gestes comme pour les personnes spectatrices de ces situations. « C’est bien d’en parler », raconte Anaïs. « Cela peut aider certains à prendre conscience de la réalité de ce que nous vivons, conclut Lauren. Mais ce n’est pas assez puissant pour changer les choses », termine la jeune femme, qui appelle à une action renforcée des forces de l’ordre sur ce sujet.