Elon Musk à Washington (Etats-Unis), en juillet 2017. / BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

C’est un énième dérapage qui accentue la méfiance de Wall Street. Dimanche 15 juillet, Elon Musk a violemment attaqué, sur Twitter, l’un des secouristes des douze jeunes footballeurs thaïlandais pris au piège dans une grotte, qu’il a qualifié de « pédophile ». Si le fondateur et patron de Tesla s’est excusé, mercredi 18 juillet, auprès du spéléologue, le mal était déjà fait : lundi 16 juillet, l’action du constructeur américain de voitures électriques a chuté de près de 3 %.

Certes les investisseurs sont désormais habitués aux frasques de M. Musk, qui utilise régulièrement Twitter pour s’en prendre aux sceptiques et aux journalistes. Mais sa dernière sortie « a dépassé les bornes », estime Gene Munster, analyste chez Loup Ventures. « Au cours des six derniers mois, il y a beaucoup d’exemples de comportement inquiétant », rappelle-t-il dans une lettre ouverte adressée à l’entrepreneur. De quoi alimenter « une perception néfaste de [son] leadership, susceptible et irascible ».

L’insulte de M. Musk visait Vernon Unsworth, un spéléologue britannique installé en Thaïlande et qui a participé aux efforts pour localiser les footballeurs et leur entraîneur. Celui-ci avait dénoncé la proposition d’aide du milliardaire, qui s’était rendu sur place accompagné d’ingénieurs de SpaceX, la société spatiale qu’il dirige en même temps que Tesla, pour bâtir un sous-marin miniature. Un projet qui n’avait « aucune chance de fonctionner », avait assuré M. Unsworth, estimant qu’il s’agissait d’un « coup de com ».

Les médias, sa cible préférée

Deux jours avant son Tweet, M. Musk avait pourtant promis de s’assagir. « J’ai fait l’erreur de croire que la chasse était ouverte lorsqu’une personne m’attaquait sur Twitter, avait-il reconnu, au cours d’un entretien accordé à l’agence Bloomberg. Je vais corriger le tir. » Le 11 juillet, le quatrième plus important actionnaire de Tesla avait également appelé au calme. « Il serait préférable de se concentrer sur l’essentiel », soulignait James Anderson, associé au sein du fonds britannique Baillie Gifford.

En effet, cet épisode intervient à un moment critique pour Tesla, qui a promis d’être rentable avant la fin de l’année, malgré les difficultés industrielles du Model 3, sa berline d’entrée de gamme, qui doit lui permettre de valider ses gigantesques investissements. Fin juin, la société a franchi un cap important, produisant 5 000 unités en une semaine. Repoussé à plusieurs reprises, cet objectif avait été érigé au rang de priorité absolue. Mais les investisseurs s’interrogent désormais sur sa capacité à maintenir cette cadence, puis à l’accélérer.

Alors que la pression s’accentue, le patron de Tesla se montre de plus en plus agacé. Début juillet, il a ainsi multiplié les messages contre certains médias, certainement sa cible préférée, coupables d’une « couverture inlassablement négative ». Pendant plusieurs heures, M. Musk, qui compte 22 millions d’abonnés sur Twitter, a notamment visé une journaliste de Business Insider, l’accusant de proximité avec un investisseur pariant sur la chute du cours boursier de Tesla.

Cette journaliste s’est également attiré les foudres de M. Musk pour avoir publié, début juin, des informations fournies par Martin Tripp, un ingénieur licencié quinze jours plus tard. « Un être humain horrible », selon M. Musk. Le groupe a déposé plainte contre son ancien employé, à qui il reproche d’avoir conçu un logiciel pour récupérer des informations confidentielles. L’accusé dément et se présente comme un lanceur d’alerte, assurant notamment que Tesla équipe certaines de ses voitures de batteries défectueuses.

Pertes record

Début mai, Elon Musk avait déjà suscité l’indignation de Wall Street en refusant de répondre à deux analystes en marge de la publication des résultats trimestriels. « Au suivant. C’est ennuyeux, les questions stupides ne sont pas cool », avait-il déclaré. Des « questions arides » qui l’avaient « achevé », avait-il ensuite regretté, avant de discuter pendant une vingtaine de minutes avec un youtubeur, visiblement fan de la marque et de son PDG, qui l’avait interpellé sur Twitter.

Pour le patron de Tesla, la vision des analystes et des marchés est beaucoup trop court-termiste. Le Model 3 est un « projet qui court sur dix années », avait-il rappelé en 2017, pour minimiser les retards de production liés à un problème avec l’assemblage des batteries au lithium-ion. L’enjeu est primordial : pour accompagner le lancement de sa berline, le groupe a en effet entrepris la construction d’une usine géante dans le désert du Nevada. Et il s’est engagé, le 10 juillet, à ouvrir une autre usine à Shanghaï.

Pour financer ses projets, Tesla s’est fortement endetté. Toute la stratégie du constructeur repose désormais sur l’augmentation des cadences de production. En attendant, ses pertes ont battu un nouveau record au premier trimestre et sa trésorerie continue de fondre. Malgré tout, M. Musk affirme toujours que Tesla sera rentable au troisième et au quatrième trimestre, et qu’il n’aura pas besoin de lever des capitaux supplémentaires en 2018. Une promesse qui laisse la grande majorité des observateurs sceptiques.