1re mi-temps

Les télévisions annoncent la couleur dès le début du tournoi. On ne ratera rien. Et plusieurs fois par jour. Priorité au Mondial, premier événement sportif de la planète. On n’a pas été déçus. Parfois, c’est vrai, elles en ont fait des caisses. Surtout avec les Bleus, bien avant qu’ils soient les nôtres. Le premier match face à l’Australie va donner le ton. Sur TF1, le compte à rebours s’égrène au long d’une journée spéciale où les envoyés spéciaux s’appliquent à chercher en France une ferveur pas encore au rendez-vous. Sur les autres chaînes, on se met à table, l’appétit aiguisé et prêt à débriefer par le menu.

D’emblée, plusieurs trucs vont mal passer. A commencer par l’entrée en matière des Bleus face à l’Australie (2-1). Grâce notamment à l’irruption de la vidéo arbitrage (VAR). Le sujet de ce 1er tour en télé. Sinon c’est « Giroud ou Dembélé », « Deschamps ou du spectacle ? ». Place ensuite au « test » face à une équipe que beaucoup annoncent « redoutable » : le Pérou. Ils passent, Giroud titularisé est salué par la critique. On n’est pas loin d’une Giroumania. Grizou, lui, redevient Griezmann et son faux transfert vidéo à l’Atlético Madrid, conjugué à son manque d’application, est surligné.

Mais le pire est à venir. « La purge », terme le plus entendu à la télé. Le non-match face au Danemark. Les « coiffeurs » sont tondus et la tête de Deschamps mise à prix. « On court à la catastrophe », souligne Dugarry sur BFM-TV, lanceur d’angoisses en chef. Face à l’Argentine de Messi, qui vient de décrocher in extremis son billet pour les huitièmes, ça ne peut pas le faire. Ambiance bleu-blanc-frousse.

Seul un irréductible commentateur sur BeIN Sports, de surcroît franco-argentin, l’épatant Omar Da Fonseca, prend tout le monde à contre-pied et pronostique une victoire de la France, « d’une plus grande technicité ». On en pince grave pour Omar. Pour certains, il est la révélation de ce Mondial, pour les habitués la confirmation qu’un autre commentaire est possible…

2e mi-temps

La France de N’Golo Kanté a bouffé Léo Messi. Un scénario haletant, sept buts, la France chavire et les télés basculent. « Une équipe est née » (TF1), « les Bleus enfin » (BFM-TV). « Les Bleus au septième ciel » (CNews), tout en nuance, sa ligne éditoriale durant tout ce Mondial. Mbappé est la nouvelle idole et Griezmann peut de nouveau se shampouiner à la télé entre les matchs sans qu’on lui cherche des poux.

Quoique. L’affiche suivante contre ses potes uruguayens et leur défense de fer (celle de l’Atlético Madrid) est pour lui, le buveur de maté. Duplex à Mâcon, sa ville natale. M’maté marque, la France triomphe sans trembler face à cet autre épouvantail, il est vrai privé de Cavani. Une victoire tactique. Celle d’« un Deschamps au top », souligne L’Equipe 21, parfois remontée contre le tacticien mais souvent pertinente dans son analyse, à l’image de Paul Le Guen, l’un de ses consultants.

Place désormais au duel fratricide face aux Belges qui ont eu la bonne idée de sortir le Brésil. Nos frères, nos voisins. Gros plan sur ces villes frontalières partagées. C’est presque dommage d’avoir fait deux équipes… Quoi Thierry Henry est sur le bac d’en face ! Mais comment est-ce possible ? Bon, si on perd, on gagnera quand même un petit peu…

Antoine Griezmann contre l’Uruguay, le 6 juillet 2018. / RICARDO MAZALAN / AP

3e mi-temps

« On » est en finale. Déjà un peu champions aussi. Normal, on n’a cessé de répéter que le vainqueur de la cousinade serait étoilé. Du coup, certaines chaînes ont pris les devants. Editions spéciales avec drapeau en logo, code vestimentaire maillot tricolore ou au moins un haut bleu. Et c’est parti pour le tour de France des supporteurs, sans oublier Bondy (ville natale du héros Mbappé), où l’on n’a pas vu autant de caméras depuis les émeutes de 2005. En micro-trottoir, le pronostic qui revient le plus est… 3-0.

Tout est prêt, même l’équipe croate qui a tout fait pour gâcher la fête. Mais la réussite est au bout. Les Bleus pas beaux mais solidaires et collectifs. « Bravo à Didier et ses gamins, une équipe qui n’a pas une identité de jeu mais une mentalité de fer, une énergie incroyable basée sur la solidarité et le travail », analyse avec justesse (comme souvent) Bixente Lizarazu. A sa place il y a vingt ans se trouvait Jean-Michel Larqué, 70 ans : « J’étais moins ému en 1998, merci aux Bleus de m’offrir une telle sortie », souligne le désormais ex-consultant.

Place à la célébration. Quelques tentatives d’analyses technico-sociétales en attendant les champions qui n’en finissent pas de se changer. Certains se hasardent sur la « diversité » mais sont renvoyés en 1998 et au mythe black-blanc-beur. « C’est juste la seule élite qui ressemble au peuple », formule Nathalie Iannetta (TF1). Les télés ont accroché deux étoiles en haut à droite de l’écran. France Télévisions entre dans la compet. « L’Arc de triomphe n’a jamais aussi bien porté son nom », tente Julian Bugier. Les « historiques » fusent. « Il n’y a que le foot qui peut créer ça », s’enthousiasme-t-on sur France 2.

Paul Pogba met l’ambiance à l’Elysée, le 16 juillet 2018. / LUDOVIC MARIN / AFP

Temps additionnel

Les héros arrivent enfin. Le bus passe un peu en trombe « sur la plus belle avenue du monde » pour freiner chez Emmanuel Macron (dont le nom est associé à des cars). Le président occupe le terrain. Mais les « gamins » sont en roue libre, le portable à bout de bras. Spontanés. Pogba ambiance et éclipse la possible récup. Ils chantent, y compris La Marseillaise. Et « Vive la France, vive la République », le slogan potache et récurrent lancé par Griezmann les soirs de victoire comme un jeu. Simple mais finalement bien vu.

Mais la soirée tourne court. Les héros sont fatigués de la fête de la veille dont on a pu voir les images à la télé par les réseaux sociaux et leurs comptes Instagram. Réseaux qui ont crevé l’écran, même ceux des télés. Elles ne sont toutefois pas en reste à l’image de TF1, qui diffuse quarante-huit heures plus tard son documentaire « exclusif », Les Bleus 2018 au cœur de l’épopée russe, façon Les Yeux dans les Bleus, mais en plus cadré, quasi institutionnel. D’autres suivront bientôt pour fêter les 1, 2, 5, 10, 20 ans…