L’été est souvent propice à la redécouverte de raretés du cinéma italien. C’est le cas de Laura nue (1961), œuvre méconnue d’un cinéaste lui-même un peu oublié, Nicolo Ferrari, aujourd’hui âgé de 90 ans, qui, hormis une poignée de fictions, s’est surtout consacré à la réalisation de documentaires militants. Or, le temps a merveilleusement travaillé pour cette pépite, coproduction italo-française se proposant d’exposer sans fard les affres de la condition féminine, qui déclencha, en son temps, les foudres des institutions catholiques et frappe aujourd’hui par sa sensibilité et sa charge politique.

Sous son titre quelque peu racoleur, le film abrite un remarquable portrait de femme, issue de la classe moyenne romaine et qui fait ses débuts dans la vie à reculons. Laura (Giorgia Moll, dont Jean-Luc Godard se souviendra pour jouer la jeune traductrice du Mépris) lambine tous les jours au lit, dans sa chambre d’enfant, atteignant l’âge fatidique où tout le monde autour d’elle la pousse à se marier, que ce soient ses parents, la bonne société où elle évolue ou son petit ami Franco (Nino Castelnuovo). Elle lui accorde sa main sans conviction et rencontre, le jour même de ses noces, un jeune et ténébreux professeur, Marco (Tomas Milian), dont elle deviendra la maîtresse. Laura entame une carrière d’épouse volage, se donnant librement aux divers hommes qui l’attirent.

Laura voit bien que, partout, l’exclusivité réclamée par le mariage rend malheureux

Le film met ainsi en avant une héroïne atypique, en rupture avec les conventions sociales de son époque et les vertus dont on pare alors la féminité à l’écran. Laura se caractérise par son scepticisme et sa lucidité : elle constate la désunion consommée de ses parents, le désespoir de sa meilleure amie, Claudia (Anne Vernon), après la naissance de son premier enfant, l’insincérité généralisée des couples qui l’entourent. Elle voit bien que, partout, l’exclusivité réclamée par le mariage rend malheureux, que la sexualité des femmes est mise sous cloche. C’est contre cette appropriation contractuelle qu’elle choisit de multiplier les amants, d’être prodigue d’elle-même et de n’appartenir à personne. Mais coucher pour se désennuyer ne débouche sur rien, car ce sont encore les hommes qui en profitent. D’un côté ou de l’autre des conventions, c’est l’amour qui fait systématiquement défaut.

Laura (Giorgia Moll) et Franco (Nino Castelnuovo) dans « Laura nue » (1961), de Nicolo Ferrari. / THÉÂTRE DU TEMPLE

Une héroïne à contre-courant

Laura pourfend les apparences : en cela, elle est un pur vecteur de négativité, une puissance d’interrogation qui remet tout en cause – elle ne cesse de poser des questions, à elle-même et aux autres. En s’attachant à sa mobilité, à ses humeurs changeantes, à ses tâtonnements, Nicolo Ferrari traduit une forme d’errance affective, une crise du sentiment amoureux, propres à la sensibilité moderne de son temps (L’Avventura, de Michelangelo ­Antonioni, était sorti un an plus tôt). Son héroïne traverse à contre-courant les cercles familiaux, mondains, libertins de son entourage – cette société oisive et festive du miracle économique – comme pour confondre sa vanité et ses mensonges. Parcours faits d’allers-retours entre l’intérieur et l’extérieur, entre la ville et la campagne, entre la chambre et la rue (de nombreuses scènes sont filmées à travers Rome), du lit conjugal à celui des autres. Parcours d’habillages et de déshabillages successifs, la nudité de Laura n’étant pas seulement un sujet d’érotisme, mais une épreuve de vérité (cette « vérité nue » qu’elle exige de son époux).

Quelle vérité ? Celle du désir qui ne saurait se restreindre à un unique objet ? Celle de l’amour qui ne naît que pour s’éteindre irrémédiablement ? Celle d’une féminité devant encore conquérir sa propre autonomie sexuelle ? Toutes ces questions partagent le même point de chute : le visage de Laura qui, à plusieurs reprises, s’approche de la caméra, vient remplir tout l’espace du cadre de son incertitude. En scrutant son regard à la fois doux et sombre, sa détresse, bientôt son innocence perdue, ­Nicolo Ferrari sonde le gouffre existentiel de son héroïne, son mélange de détermination et de fragilité. Sans oublier pour autant de rendre un hommage émouvant à sa beauté frémissante.

Film français et italien de Nicolo Ferrari (1961). Avec Giorgia Moll, Tomas Milian, Nino Castelnuovo, Anne Vernon (1 h 40). Sur le Web : fr-fr.facebook.com/theatredutemple