La Ville de Paris a présenté, jeudi 19 juillet, des véhicules en libre-service qui seront bientôt proposés aux habitants de la capitale. Le déploiement de cette panoplie de moyens de transport cherche en effet à faire oublier la fin brutale du service Autolib’, prévue pour le 31 juillet, et le fiasco de l’installation des nouveaux Vélib’, qui n’en finit pas de durer depuis le début de l’année. Olivier Razemon, journaliste spécialiste des transports, a répondu à vos questions.

Nicolas : Pourquoi parle-on de fiasco ? Pour Autolib’ je peux comprendre mais les Vélib’ marchent bien, non ?

En effet, on trouve parfois des Vélib’ qui fonctionnent, alors que le service Autolib’ va cesser purement et simplement à la fin de ce mois. Mais il faut rappeler que le nouvel opérateur, Smovengo, était censé avoir installé ses 1 200 stations et ses 20 000 vélos fin mars. Or ce n’est toujours pas terminé.

Par ailleurs, les utilisateurs font état de nombreux bugs, qui continuent de perturber le service. L’ergonomie des stations et des vélos n’est pas satisfaisante. A titre d’exemple, il suffisait d’une opération (placer la carte sur la bornette) pour retirer un Vélib’ avant 2018, et il en faut désormais deux (appuyer sur un bouton, puis positionner, d’ailleurs difficilement, la carte).

GM : Vélib’ comme Autolib’ sont des services largement subventionnés par la mairie de Paris. Les autres formes (libérales) prises par l’économie du partage sont assez sauvages et présentent des inconvénients (vélos en libre-service sans borne, Uber…). Pensez-vous que la « smart city » puisse se faire sans régulation et sans subvention ?

Il est clair que les services de transport partagé ne peuvent pas se développer sans intervention des pouvoirs publics. Soit sous la forme de subventions, soit sous d’autres formes, en accordant de l’espace aux services en question, des places de stationnement par exemple.

Par ailleurs, les habitants d’une ville auront davantage tendance à recourir à l’autopartage s’il est compliqué pour eux de conserver une voiture dont ils ne se servent pas. Plus le coût du stationnement sur voirie est élevé, plus les riverains qui conservent une voiture « au cas où », qu’ils utilisent une fois par semaine, auront envie de s’en séparer et de passer à la location ponctuelle.

François Malavieille : Pourquoi confondre Paris et la France ? Ces systèmes fonctionnent très bien dans les autres métropoles (Nantes, Montpellier, etc.).

Vous avez raison. JCDecaux a réussi à remplacer ses 4 000 vélos à Lyon, en une nuit. Mais la situation n’était tout de même pas exactement la même qu’à Paris ; il s’agissait de remplacer des vélos alors que Smovengo doit installer des stations, avec des travaux, etc.

Par ailleurs, Paris constitue en effet un marché potentiel énorme : plus de 60 % des foyers n’y possèdent pas de voiture. L’autopartage et le vélopartage existent bien entendu ailleurs, et fonctionnent souvent bien, mais les volumes sont moins importants. D’ailleurs, la Ville de Paris s’est longtemps définie, et se définit toujours – pas plus tard que ce matin par la voix de l’adjoint aux transports –, comme « pionnière » en matière de transport partagé. Le problème avec ce genre d’assertion, c’est que l’on finit par y croire, et que l’on a assimilé, dans le secteur des transports, le véhicule partagé à Autolib’ et Vélib’, qui sont presque devenus des noms génériques pour le vélo partagé et la voiture partagée.

Enfin, il ne faut pas oublier que le vélo en libre-service coûte cher à la collectivité, entre 2 500 et 4 000 euros par an et par vélo. Les villes qui ont réussi à bien développer ce moyen de transport, en Europe (Fribourg, Bolzano, Malmö) comme en France (Strasbourg, Grenoble), ne misent pas principalement sur un vélo partagé mais sur des infrastructures protégées et des stationnements sécurisés.

Bat : Compte tenu de la difficulté à trouver des places à Paris et de la nécessité de recharger les voitures, comment imaginer un système viable sans station ?

C’est juste, c’est un sujet d’inquiétude pour les utilisateurs, surtout ceux qui avaient l’habitude d’une place réservée à destination avec Autolib’. A ces interrogations, l’adjoint aux transports de la mairie de Paris, Christophe Najdovski (Europe Ecologie-Les Verts) répond que, depuis la réforme du stationnement intervenue dans toute la France en janvier, le taux de rotation des véhicules stationnés a augmenté. Selon lui, on trouve aujourd’hui 12 % de places vides dans Paris.

votrepseudonymetoimême : Peut-on considérer que l’échec d’Autolib’ est dû à l’absence de soutien de la Ville de Paris et qu’il s’agissait, en définitive, d’un système qui ne pouvait profiter, paradoxalement, qu’aux plus riches ? Que la Ville de Paris n’a rien fait pour faire baisser les prix ni inciter les gens à les utiliser (en donnant des avantages et, par exemple, une tolérance pour les voies de bus – comme pour les taxis et les VTC) ?

C’est exactement ce qu’il s’est passé. Lorsqu’on regarde le profil des abonnés d’Autolib’, on constate qu’il s’agissait de ménages plutôt aisés (même s’il y a des exceptions, évidemment), une majorité d’hommes, pour des trajets Paris-Paris ou Paris-banlieue, mais plus rarement l’inverse. Cela dit, 6 euros la demi-heure, ce n’est pas si élevé quand on compare au taxi, par exemple. Et d’ailleurs, ce n’était pas rentable. La preuve, M. Bolloré a fini par renoncer à financer le service.

Par ailleurs, donner aux Autolib’ la possibilité d’emprunter les couloirs de bus, c’est risquer de ralentir les bus et de mettre les cyclistes en insécurité. C’est donc donner un avantage supplémentaire à ces utilisateurs au détriment des autres.

Edouard : Savons-nous quelles sont les options explorées par la mairie de Paris concernant le Vélib’ ? Une rupture de contrat avec Smovengo et un abandon du Vélib’ ou la poursuite du déploiement de Smovengo ?

Le service Vélib’ s’améliore lentement, mais très lentement, je vous l’accorde. M. Najdovski assure aujourd’hui qu’un bilan sera effectué en septembre. Il refuse de se prononcer sur les solutions envisagées en cas de défaillance prolongée de l’opérateur Smovengo.

EC : Les services d’autopartage peuvent-ils profiter de la disparition d’Autolib’ ?

A voir le nombre de sociétés intéressées par ce marché qui s’ouvre, incontestablement, oui, elles espèrent en profiter. Par ailleurs, vu le nombre élevé de foyers sans voiture à Paris, mais aussi en proche banlieue ou dans d’autres grandes villes, le potentiel est énorme. Tout va dépendre de la manière dont vont s’articuler ces offres.

Flaab : Vous mettez souvent en avant l’importance des infrastructures plutôt que des moyens de transport comme moyen de faire évoluer la mobilité. A Paris, le « plan vélo » qui traitait de cet aspect semble de plus en plus voué à l’échec face aux oppositions diverses (automobilistes, préfecture, etc.). La présentation de la Ville de Paris aujourd’hui prend-elle en compte cette dimension ?

Quand on regarde les villes d’Europe qui ont réussi à développer le vélo, on s’aperçoit qu’elles sont toutes passées par les solutions suivantes : infrastructures spéciales (pistes, carrefours aménagés) pour les grands axes, abaissement de la vitesse pour les rues secondaires, stationnement sécurisé pour parer les vols de vélo. Ces villes, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Italie du Nord, proposent parfois aussi des systèmes de vélo partagé, mais de manière complémentaire, pas comme mode de déplacement principal.

Depuis 2014, Paris a changé son fusil d’épaule, la Ville ne misait que sur les Vélib’ et elle a décidé un ambitieux « plan vélo ». Celui-ci se met en place, avec retard, certes. Il y a quelques opposants, c’est certain, mais ils finissent par se calmer. En revanche, il serait judicieux, pour que cela soit efficace, de mieux baliser les itinéraires et de faire respecter les aménagements existants, on en est encore loin.