Marche blanche pour Adama Traoré, le 22 juillet 2016, dans le Val-d’Oise. / THOMAS SAMSON / AFP

Cela fait deux ans quasi jour pour jour qu’elle sillonne la France et ses quartiers populaires pour que personne n’oublie. Deux ans qu’Assa Traoré, 32 ans, raconte sans relâche l’histoire de son petit frère, Adama, 24 ans, mort par asphyxie le 19 juillet 2016 dans les locaux de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise) après une interpellation musclée. Deux ans qu’elle et sa famille dénoncent une « bavure » et se battent pour obtenir « vérité et justice pour Adama ».

Les conclusions d’un nouveau rapport d’expertise médicale censé faire la lumière sur les causes de la mort du jeune homme devaient être rendues à la mi-juillet. Mais leur remise a été reportée au 30 septembre. « C’est inadmissible, fulmine Assa Traoré, qui vient d’écrire une lettre à Emmanuel Macron et à la ministre de la justice, Nicole Belloubet. Nous avons été patients, nous avons joué le jeu de la justice, nous n’avons jamais cessé d’appeler au calme, mais ils jouent avec le temps. Nous perdons confiance : nous ne sommes pas hors la France, nous aussi nous avons droit à la justice. »

A ses yeux, l’enquête ouverte pour « recherche des causes de la mort », « violences par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « non-assistance à personne en péril » n’avance pas. « Rallonger tous les actes pour pourrir la procédure est un processus classique quand on veut étouffer une affaire : c’est le cas ici », affirme Me Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille Traoré.

Les conversations entre les secours : « Ça a merdé du début à la fin »

« Peaufiner leur version »

C’est la quatrième expertise qui a été ordonnée dans ce dossier. Les trois premières ont conclu à une mort par asphyxie, mais ne s’accordent pas sur son origine : soit la mort est due à la compression de la cage thoracique lors du plaquage ventral par les trois gendarmes – une technique dangereuse mais autorisée –, soit elle est due à une ou plusieurs fragilités antérieures du jeune homme, notamment une anomalie cardiaque et une maladie inflammatoire.

Récit de la contre-expertise du 22 juin 2017 : confirmant la mort par asphyxie d’Adama Traoré

Ce qui, par ailleurs, n’exclut pas la responsabilité des trois gendarmes, auxquels la famille Traoré reproche également ne pas avoir porté secours à Adama après son malaise dans leur véhicule et de l’avoir laissé mourir sans réagir. Face à leurs collègues, ceux-là ont affirmé qu’ils avaient mis Adama Traoré en position latérale de sécurité. Mais ce récit a été mis à mal par un sapeur-pompier qui a rapporté qu’à son arrivée sur les lieux, le jeune homme se trouvait « face contre terre, sur le ventre, mains dans le dos menottées ».

Deux ans après les faits, les trois gendarmes qui ont procédé à l’interpellation d’Adama Traoré ce jour-là n’ont toujours pas été entendus par les juges d’instruction. « Cela leur laisse tout le temps d’être imprécis, mais aussi de se concerter pour peaufiner leur version et de l’affiner en fonction des différentes expertises », poursuit l’avocat.

« Invitation à l’émeute »

« Alors que la justice a été très rapide pour mettre en prison quatre de mes frères pour des actes d’outrage et de rébellions lors de manifestations réclamant justice pour Adama, les trois gendarmes, eux, n’ont jamais été suspendus, ils ont simplement été mutés », s’emporte Assa Traoré. La famille réclame également une reconstitution des faits, que les juges refusent d’envisager avant d’obtenir les résultats de la quatrième expertise.

Jeudi, au lendemain des révélations du Monde sur Alexandre Benalla, un collaborateur d’Emmanuel Macron identifié en train de frapper un manifestant en marge des manifestations du 1er-Mai, elle s’indignait déjà de la différence de traitement entre M. Benalla et ses frères : « Ce monsieur de l’Elysée se déguise en policier pour aller tabasser la population et on règle son cas par une suspension de quinze jours [il a depuis été placé en garde à vue et est visé par une procédure de licenciement] ! Cet homme est un délinquant, mais le pouvoir le couvre, comme il couvre les gendarmes qui ont tué mon frère. Pour eux, il ne se passe rien… »

« La justice est en train de leur démontrer que jouer le jeu judiciaire, dans ces cas-là, ne sert à rien, affirme Me Bouzrou. C’est une invitation à l’émeute. » La mort d’Adama Traoré avait entraîné cinq nuits d’émeutes à Beaumont-sur-Oise, la ville d’origine de la famille, et dans les environs. Samedi 21 juillet, le comité Vérité et justice pour Adama organise un rassemblement dans la ville de Beaumont-sur-Oise « pour mettre fin à ce système d’oppression ».