Alors que les effets cancérigènes des nitrates sont encore discutés, une étude publiée le 18 juillet dans la revue Molecular Psychiatry met en cause ces substances sous un autre angle. En suggérant, cette fois, une influence néfaste de ces conservateurs sur la santé mentale, et plus particulièrement sur la survenue d’épisodes maniaques. Des phases d’excitation, principalement présentes dans le trouble bipolaire, pendant lesquelles les patients sont irritables, dorment peu, parlent souvent très vite et peuvent avoir des hallucinations.

Des chercheurs américains et néerlandais sont arrivés à ce constat par hasard, en analysant les données démographiques, sanitaires et alimentaires de 1 101 Américains âgés de 18 à 65 ans, entre 2007 et 2011. « Nous n’avions pas l’intention d’examiner les consommations de charcuteries », a expliqué Faith Dickerson, professeur de psychiatrie à l’université du Maryland et coauteur de l’étude. Mais quand les scientifiques ont constaté que les personnes hospitalisées pour un état maniaque étaient trois fois et demie plus nombreuses à déclarer avoir déjà consommé de la viande séchée que les personnes ne souffrant d’aucun trouble psychiatrique, ils ont approfondi leurs recherches. Les patients souffrant d’autres maladies mentales ne présentaient pas cette surconsommation de ces charcuteries fortement chargées en nitrates. Aucun autre aliment recensé dans le questionnaire, même le saucisson et le jambon cru, n’avait d’association avec les épisodes maniaques ou avec une autre pathologie psychiatrique.

Pour aller plus loin, les chercheurs ont mené une série d’expérimentations sur des rats. Verdict ? Les résultats abondent dans le sens des observations effectuées sur les humains. Au bout de deux semaines, les rats qui avaient quotidiennement mangé des produits à base de nitrates, contrairement à ceux qui avaient eu une alimentation dépourvue de ces substances, présentaient une hyperactivité motrice. Au-delà de cette expression comportementale de la manie, cette étude révèle l’influence de ces conservateurs sur la modification du microbiote intestinal des rats.

« Psychonutrition »

Or, cet ensemble de micro-organismes vivant dans le tube digestif est mis en cause depuis une dizaine d’années dans la manie et dans d’autres troubles psychiatriques, comme l’a précisé Robert Yolken (université Johns Hopkins), un des auteurs de l’étude, dans le communiqué de presse accompagnant celle-ci : « Il y a de plus en plus de preuves que les germes dans les intestins peuvent influencer le cerveau. » Enfin, ces nitrates, consommés à une équivalence humaine d’un bâtonnet de viande séchée par jour, semblent modifier les circuits cérébraux des rongeurs, plus précisément ceux de l’hippocampe. Cette structure est impliquée dans la mémoire, la navigation spatiale et l’inhibition et potentiellement altérée chez les humains dans le trouble bipolaire.

Si ce travail préliminaire ne permet pas d’établir de lien direct de cause à effet, d’après Guillaume Fond, psychiatre à l’hôpital de la Conception à Marseille et chercheur à l’université d’Aix-Marseille, « c’est une étude majeure car emblématique d’un nouveau courant de recherche, la psychonutrition, qui s’intéresse à l’influence de l’alimentation sur le déclenchement ou l’évolution des troubles psychiatriques ». Selon lui, ces résultats devraient conduire à une réaction des services de santé publique américains : « Par mesure de précaution, ces produits devraient être retirés du marché, le temps de faire toute la lumière. » Si, en France, nous n’avons pas pour habitude de consommer de la viande séchée, Guillaume Fond met en garde contre les compléments alimentaires utilisés pour faire de la musculation, qui peuvent s’y apparenter.

Le ventre serait donc bel et bien notre deuxième cerveau… Pour en avoir le cœur net, les auteurs de l’étude souhaitent poursuivre leurs investigations, comme l’indique Robert Yolter : « Les travaux futurs sur cette association entre nitrates et manie pourraient mener à des interventions diététiques pour aider à réduire le risque d’épisodes maniaques chez les personnes atteintes de trouble bipolaire ou vulnérables à la manie. »