L’affaire Benalla aura eu raison, au moins provisoirement, du projet de révision constitutionnelle voulu par Emmanuel Macron et dont l’examen, déjà compliqué, a été suspendu dimanche 22 juillet jusqu’à nouvel ordre, après un blocage inédit de l’Assemblée nationale.

L’hémicycle était en état de « siège » depuis les révélations du Monde sur l’ancien collaborateur du chef de l’Etat, selon les termes d’une élue La République en marche (LRM). L’air grave, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a annoncé en fin de matinée la suspension des travaux et souhaité que l’examen de la révision, qui en était à son onzième jour d’affilée, reprenne « ultérieurement dans des conditions plus sereines ».

Une décision qui a été applaudie par des députés de tous bords avant la levée de la séance, alors que depuis la matinée, les « rappels au règlement » s’étaient à nouveau succédé, atteignant depuis jeudi le nombre record de 298.

L’opposition plaidait depuis près de trois jours qu’il était impossible de débattre d’un tel texte constitutionnel « au milieu de cette crise profonde ». La majorité, après une réunion à huis clos samedi soir, avait affiché pour mot d’ordre de « ne pas lâcher ». Il a finalement fallu « mettre fin au cirque », a affirmé une source dans la majorité, au vu de la situation inédite de blocage « de tous les groupes d’opposition ».

Le député LRM Sacha Houlié refuse toutefois d’y voir une défaite politique pour la majorité face à l’opposition :

« Qu’ont-ils gagné ? Rien. On a siégé tous les jours à l’Assemblée nationale alors que certains souhaitaient qu’on arrête vendredi soir. On n’a pas lâché sur la date de l’audition du ministre de l’intérieur. On a tenté jusqu’au bout de reprendre les travaux. »

La présidente du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée, Valérie Rabault, estime, de son côté, que la suspension des travaux : « Les oppositions dans leur ensemble ont clairement marqué le point, mais ce n’est pas une victoire. »

La réforme remise en cause

Jean-Luc Mélenchon (LFI) s’est félicité sur Twitter de cette mise « au congélateur » du texte, fustigeant les « Pieds nickelés » de la « macronie ».

Et déjà, des voix s’élèvent pour réclamer un retrait pur et simple de la réforme, qui prévoit notamment une réduction du nombre de parlementaires et une dose de proportionnelle de 15%. Dénonçant « une hyper-présidentialisation », plusieurs ont trouvé dans l’affaire Benalla un argument supplémentaire pour repousser un texte qui « affaiblit le Parlement », le socialiste Olivier Faure y voyant l’illustration du « danger de laisser un exécutif tout puissant ».

Pierre Dharréville, porte-parole des députés communistes, ne voit pas ce qui pourrait justifier « un nouvel accroissement des pouvoirs du président ». La réforme est désormais « nulle et non avenue », affirme Sébastien Huyghe (LR).

Dans un communiqué, le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau a, lui, appelé le gouvernement « à revoir sa copie », en estimant qu’Emmanuel Macron « ne peut plus décemment » défendre un tel projet, qui était censé arriver au Palais du Luxembourg en septembre.

Collomb, seul ministre entendu

Lundi, sera marqué par l’audition de Gérard Collomb le matin par la commission des Lois, dotée des prérogatives d’enquête. Plusieurs membres de l’opposition souhaiteraient également voire que soient interrogés le président de la République, Emmanuel Macron, mais aussi le premier ministre, Edouard Philippe ou encore le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Christophe Castaner.

Mme Rabault a ainsi écrit au premier ministre pour lui demander de se rendre devant l’Assemblée nationale. Elle n’a reçu pour toute réponse qu’un « accusé réception de M. Castaner ». Du côté de la France Insoumise aussi, on réclame la venue de M. Philippe. Les ministres ne s’expriment pas non plus, ce qui montre le caractère-anti démocratique des institutions actuelles. En revanche, il peut répondre à la commission d’enquête », soutient Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis.

Ugo Bernalicis, membre de la commission des Lois, qui va devenir la commission d’enquête, maintient sa demande de pouvoir auditionner le président de la République. « Cela n’est marqué nulle part qu’il ne peut pas venir devant la commission. Il peut refuser mais rien ne l’empêche de venir », estime-t-il.

Calendrier incertain

Quid du calendrier parlementaire ? Un « brouillard assez dense » règne, constate-t-on dans la majorité. Après l’audition de M. Collomb lundi matin, les débats doivent reprendre à 16 heures, sur le projet de loi « avenir professionnel ». En principe, le texte asile-immigration, porté par M. Collomb, est aussi au menu à compter de mercredi.

M. de Rugy doit consulter les présidents de groupe et le gouvernement pour organiser les débats « des deux prochaines semaines », soit d’ici la pause estivale.

Quant à la réforme, Mme Belloubet a assuré que le gouvernement serait « toujours là pour défendre notre Constitution et la faire évoluer », le président de l’Assemblée François de Rugy (LRM) promettant aussi de tout faire pour qu’elle « aboutisse ».