« J’habitais dans la cour d’à côté, il y avait une sacrée ambiance tous les soirs là-dedans. Il fallait voir ça, c’était un spectacle à la fois dans la salle et sur l’écran ! », s’exclame le réalisateur Gaston Kaboré. Un large sourire aux lèvres, le célèbre cinéaste, césar du Meilleur film francophone 1985 pour Wend Kuuni, se remémore l’emblématique Ciné Guimbi, celui de « sa jeunesse » dans le quartier populaire de Koko à Bobo-Dioulasso, dans le sud-ouest du pays. « Aller au Ciné Guimbi, c’était une aventure », se rappelle à son tour le monteur Kodini Sanou, qui ne serait pas « arrivé dans le milieu s’il n’y avait pas eu cette salle ».

« C’est toute une partie de mon enfance qui se trouve là, on y allait en cachette. J’avais 10 ans quand j’ai vu mon premier film sur l’écran géant en plein air, j’étais fasciné. Ça parlait fort, les gens commentaient, s’interpellaient, ils insultaient même le projectionniste quand il y avait une coupure d’électricité ou que la bobine se cassait, c’était une ambiance de kermesse ! », décrit le Bobolais de 62 ans, qui a grandi dans le quartier.

Pendant longtemps, il n’est plus resté du vieux cinéma que le mur porteur de béton sur lequel étaient projetés les longs-métrages, dernier vestige de la salle mythique de l’aube des indépendances. Les bobines du Ciné Guimbi, qui porte le nom de la princesse emblématique de Bobo, Guimbi Ouattara, ont définitivement arrêté de tourner en 2003, après la faillite.

« A peine entré, on était déjà en sueur ! »

Plus de cinquante ans après l’ouverture du cinéma par « Monsieur Touré », difficile d’imaginer ici, sur le petit terrain vague poussiéreux du quartier, l’ambiance de l’époque : la « séance sacrée de 20 heures », les bagarres pour acheter un ticket, les vendeurs ambulants et le public turbulent agglutiné dans la petite cour.

Aujourd’hui, il ne reste plus du cinéma Guimbi que le vieux mur porteur en béton sur lequel étaient projetés les longs-métrages. / CINÉ GUIMBI

Le lieu a inspiré des générations de cinéphiles, à l’image d’Idrissa Ouedraogo ou de « l’enfant du quartier » Gaston Kaboré, tous deux devenus pères du cinéma burkinabé. « Je n’avais pas assez pour acheter une place et les parents ne m’autorisaient pas y aller, alors, avec les amis, on grimpait dans le manguier de la cour de mon oncle pour regarder l’écran de loin. C’était fantastique de voir les grands westerns, les péplums et les films indiens, c’était pour nous une manière de fuir le quotidien et de nous évader », raconte le réalisateur bobolais Kollo Sanou, grande figure du septième art au Burkina Faso.

« C’était la bataille pour avoir une place, les chemises se déchiraient, à peine entré, on était déjà en sueur ! Les soirées Bollywood faisaient salle comble. On ne comprenait rien à l’hindi et aux sous-titres en anglais, mais ça ne dérangeait personne. C’était là la magie du cinéma, on était émerveillé avec nos yeux d’enfants de voir ces films sur un si grand écran », se souvient le cinéaste Issiaka Konaté, lauréat du meilleur film documentaire au Fespaco en 1991. Fasciné, le jeune garçon eut même l’idée à l’époque de fabriquer un cinématographe avec une boîte en carton et une vieille ampoule pour organiser des projections pour « les amis du quartier » dans la cour familiale. Pour payer les 40 francs CFA (0,06 euro) de sa place au Guimbi, Kodini Sanou lui vendait des répliques, dessinées au crayon, des affiches des longs-métrages : Le train sifflera trois fois, Django « Les gens adoraient décorer leur maison avec les posters des films qui passaient au Ciné », se rappelle-t-il, en riant.

Plus que 8 cinémas au pays du Fespaco

« Le Vieux Touré, comme on l’appelait, a ouvert le Ciné Guimbi en 1957. C’était un cinéphile, il voulait en faire un lieu de rencontre dans le quartier. A l’époque, les salles étaient toutes exploitées par des Européens, c’était la première fois que l’on avait un cinéma géré par un Africain pour les Africains », explique Bokar Fofana, exploitant de la salle de projection de 1996 à 2000. Nationalisé en 1970 par la Sonacib, le Guimbi a finalement dû mettre la clé sous la porte, après la liquidation judiciaire de la Société d’exploitation et de distribution cinématographique en 2003. A l’image du Guimbi, de nombreuses salles ont ainsi disparu au pays du Fespaco, le plus grand festival de cinéma africain.

Sur la soixantaine d’établissements que comptait le Burkina Faso dans les années 1990, il n’en reste désormais plus que huit. « Beaucoup ont fermé en Afrique de l’Ouest à la fin des années 1990 et au début des années 2000 à cause de la politique d’ajustement structurel des institutions financières internationales, elles ont mis la pression sur les Etats africains pour qu’ils se débarrassent des entreprises jugées non rentables”. Le cinéma faisait partie du lot », analyse Berni Goldblat, réalisateur et producteur helvético-burkinabé, également président de l’Association de soutien du cinéma au Burkina Faso. Sans compter l’arrivée des nouvelles technologies, Internet, téléviseurs et autres DVD pirates, qui ont mis un nouveau coup au marché des salles obscures.

Redonner vie au cinéma

Bobo-Dioulasso, capitale culturelle et deuxième ville du pays, ne compte aujourd’hui plus aucun cinéma en fonction, tous tombés à l’abandon ou rachetés par des commerçants. Le Sya est devenu un magasin de motos, le ciné Houet un entrepôt et le Sanyon une salle polyvalente privée. Un constat amer qui a poussé Berni Goldblat à passer à l’action. Son ambition : redonner vie au cinéma de légende. « Tout est parti de cette frustration, nous voulions sauver le terrain. Alors nous avons approché les Touré pour leur proposer de racheter la salle en ruine, la famille, musulmane, ne voulait pas que l’on construise un hôtel ou une discothèque, après leur avoir présenté notre projet, ils nous ont donné le feu vert », détaille le réalisateur de Wallay.

Le futur Ciné Guimbi en construction dans le quartier populaire de Koko à Bobo-Dioulasso en 2018. / CINÉ GUIMBI

En 2013, le chantier de reconstruction est lancé. Cette fois, le « nouveau Guimbi » verra plus grand : deux salles de projection, un restaurant, un centre de ressources, avec toit végétalisé et équipement solaire, imaginés par l’architecte français Jean-Marc Lalo. « Notre ambition est de faire de ce lieu un espace de rencontres, de rassemblement, d’éducation à l’image, d’expositions et de festivals », annonce le cinéaste. Coût total des travaux, soutenus par des fonds privés et une campagne de financement participative : 3 millions d’euros. Les travaux avancent lentement, au gré des donations privées. Une nouvelle campagne de récolte de fonds a été lancée début juin jusqu’à la mi-juillet afin d’achever la première phase du chantier. Pour l’inaugurer, quoi de mieux que les 50 ans du Fespaco en 2019 ? « Ça serait le rêve ! On va tout faire pour finir à temps », promet Berni Goldblat.