Mathieu Mendizabal et Julen Achiary (photo) ont ouvert le festival Errobiko Festibala le 19 juillet avec le « chant profond du peuple basque ». / Isabelle Miquelestorena

Ici, à Errobiko Festibala (fruit de l’association Ezcandraï et du barde déchaîné, Beñat Achiary), le concert de catégorie, le point d’orgue de chaque soirée, commence vers minuit et quart, minuit vingt, enfin, quand c’est prêt. Personne n’ayant mieux à faire, on vit le temps – ailleurs on le tuerait… – avec un verre de txakoli, une boîte à rires, quelques méditations sous la lune et beaucoup de poésies en tête. Il peut pleuvoir, il sait pleuvoir, peu importe. Le txakoli est un vin vert.

La nuit, à Errobiko Festibala, les débats chantés ont lieu à Atharri, trinquet dans la montagne avec mur à gauche, tout le confort moderne, et cette coquetterie métaphysique qu’on ne connaît qu’au Pays basque. C’est, figurez-vous, question de voix, de timbre, de chant profond, le credo de Beñat Achiary. Connu dans toute l’Europe, au Japon et à Itxassou, Beñat Achiary reste délicieusement ignoré ailleurs. Il mène sa barque. Itxassou (comme ça se prononce), est un des plus jolis villages du Pays basque. Les autres aussi. Depuis 1996, Itxassou célèbre la Nive (Errobi) qui descend en chute libre des Pyrénées : son festival – Errobiko Festibala (juqu’au 22 juillet) – est une célébration, une partie de campagne, une ballade, un sérieux accompte sur le bonheur.

Sans la moindre baguette, Beñat Achiary, vocaliste hors piste au répertoire imbattable, change son festival en emploi du temps très finement dépensé. Par beau temps (le 24 décembre en fin d’après-midi), du petit plateau en altitude d’Urzumu, qui sert d’aérodrome aux vélivoles intrépides, on voit la mer (itsasoa).

Les esprits se manifestent

D’où ce doux nom d’Itxassou. Mais le temps ne fait rien à l’affaire. Au beau milieu d’Oyate, nouvelle création des portraits de chefs indiens dessinés naguère par le pianiste Tony Hymas (pour le label nato de Jean Rochard), un orage sensationnel met son grain de sel. Les esprits ne cessent de se manifester. Du coup, toutes sorte de nigauds mythifient l’Indien comme la Sncf, le « confort zen ».

En scène, Tony Hymas, Christophe Rocher (clarinettes), Paul Rogers (contrebasse ailée) et Beñat Achiary traitent leurs sujets – les grands chefs indiens, avec la rigueur qu’ils inspirent. Un des plus doux, un des plus violents moments de l’été. Infiniment plus proche du « jazz » qu’ailleurs où il fait produit d’appel.

Pourquoi ? Parce qu’Errobiko Festibala serait du genre alternatif, « un festival alternaïf » dixit Bernard Lubat, ange tutélaire de l’opération. Le plus souvent, les festivals se contentent d’apporter des réponses. Clefs en main. Alors que le « jazz », le « chant profond », ne sont que questions. Qui ne festivale pas le 19 août en France, ne jouera jamais. Le Sud-Est dégaine la grosse artillerie (Nice, Juan-les-Pins, Vence…), le Sud-Ouest s’en tient à des formats plus humbles (Albret Jazz Sessions du saxophoniste Eric Barret, Souillac…). Là-haut, dans la montagne, Errobiko célèbre les éléments, les plantes, les ciels : angle d’attaque, la voix. Celles à mains nues de Mathieu Mendizabal et Julen Achiary, duo exceptionnel sur fond de chants souletins et vizcayens…

Josean Artze, poète, conscience, vient de disparaître à Usurbil (12 janvier 2018). La 22e édtion d’Errobiko Festibala lui est dédiée : « Plus que nous ne le choisissons, c’est le chant qui nous choisit… Le chanteur n’a plus qu’à voler vers d’autres cœurs. » Décollage sur la piste d’Urzumu.