Prototype du porte-clé connecté proposé par New School. / New School

« Les élèves reçoivent en début d’année un porte-clés connecté (Bluetooth) qu’ils doivent avoir en permanence sur eux. Celui-ci sera désormais une aide afin de s’assurer de la présence de chacun d’eux en classe, sur les installations sportives, au CDI et lors des sorties mais aussi au cours des exercices de sécurité (incendie, PPMS). » Ces quelques lignes, ajoutées durant l’été au règlement intérieur du lycée (privé sous contrat) parisien Rocroy-Saint-Vincent-de-Paul, ont provoqué de vives réactions au sein et en dehors de l’établissement. Découvert un peu par hasard par des élèves, cet ajout au règlement a été largement diffusé sur les réseaux sociaux. Une pétition en ligne demandant le retrait de cette mesure avait recueilli plus de 3 500 signatures avant son retrait par son auteur, lundi 23 juillet.

« Il n’y a eu aucune information pour prévenir les élèves ou leurs parents », explique au Monde une élève de l’établissement, qui accueille 1 700 personnes réparties sur trois sites.

« Ce n’était pas non plus évoqué dans l’e-mail de prérentrée envoyé au début de l’été. Personne n’a donné son accord, ce qui pose des problèmes de légalité comme de moralité. Il y a bien eu quelques problèmes d’absentéisme l’an dernier dans le lycée, mais rien qui justifie la mise en place d’un tel système. Ce sont des petites classes, on voit tout de suite si quelqu’un est absent. »

Ce 23 juillet, le lycée a finalement publié un article sur son site pour signaler la mise en place du dispositif, dans lequel il assure s’être « entouré de toutes les garanties, afin de conjuguer innovation, sécurité des élèves et des données ».

Simplifier l’appel en classe

Le « système » en question est celui de la société New School, une start-up qui propose des applications d’aide aux enseignants. A son lancement, l’application New School avait, malgré quelques critiques, bénéficié d’une importante couverture positive dans la presse. Sa fondatrice a un profil atypique : lycéenne, âgée d’à peine 16 ans à l’époque, et étudiante en filière littéraire, Philippine Dolbeau avait collectionné les prix, et reçu le soutien d’entreprises comme Qwant et Apple. Déployé dans une quinzaine d’établissements scolaires, son logiciel se veut une sorte de passe-partout dématérialisé permettant par exemple de payer la cantine, mais sa fonction première est de simplifier l’appel en classe.

En début de cours, l’enseignant utilise une application qui vérifie automatiquement si les porte-clés correspondant à sa liste d’élèves sont bien présents dans le rayon que peut capter son téléphone. S’il en manque, l’absence est enregistrée automatiquement, et transmise au logiciel de gestion de vie scolaire pour les établissements utilisant le programme Ecole directe, très courant dans le privé. Les parents peuvent également être prévenus de manière automatique, par SMS ou par email.

Mécanismes de sécurité

Contrairement à ce que laisse entendre le règlement intérieur du lycée Rocroy-Saint-Vincent-de-Paul, le système New School ne peut cependant pas suivre les déplacements des élèves, affirme Philippine Dolbeau. « Nous n’utilisons pas la géolocalisation [comme le GPS d’un téléphone] », explique-t-elle — le porte-clés n’est détecté que par le téléphone de l’enseignant, et uniquement au moment de l’appel. « On ne peut pas tracer les déplacements d’un élève, ce n’est pas un “mouchard”. Et nous avons mis en place toute une série de protections : un professeur ne peut faire l’appel que si son emploi du temps prévoit qu’il donne bien cours à cette classe et à ce moment, il ne peut pas l’activer le week-end par exemple. »

En pratique, l’application peut bien être utilisée pour contrôler les présences durant « les sorties ou les exercices de sécurité », comme le détaille le lycée Rocroy-Saint-Vincent-de-Paul dans son règlement. Mais uniquement pour faire l’appel à la montée ou à la sortie du bus, et pas pour suivre individuellement les déplacements d’élèves durant la sortie. A l’heure de la publication de cet article, le lycée n’avait pas donné suite aux sollicitations du Monde.

Si elle dit comprendre qu’il y ait « quelques réticences », Philippine Dolbeau assure avoir « fait particulièrement attention aux problématiques de sécurité : nos utilisateurs sont mineurs, la CNIL et l’éducation nationale demandent des garanties poussées, et c’est normal. Les informations personnelles sont chiffrées, stockées sur des serveurs en France, et nous avons fait un dépôt auprès de la CNIL. »

Un détournement ou un piratage ne sont jamais totalement à exclure, mais pour les élèves de Rocroy-Saint-Vincent-de-Paul, le principal problème reste la manière dont le système a été mis en place, sans demander le consentement des principaux intéressés.

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