Des manifestants dénoncent le meurtre de la militante écologiste hondurienne Berta Caceres, devant l’ambassade du Honduras à Santiago, au Chili, le 7 mars 2016. / MARTIN BERNETTI / AFP

Les noms des victimes et les statistiques se succèdent au fil des pages. Des témoignages, glaçants, viennent compléter le macabre tableau. En 2017, au moins 207 défenseurs des droits à la terre et de l’environnement ont été tués, dans vingt-deux pays différents, soit presque quatre par semaine. Ce qui fait de cette année, selon l’ONG britannique Global Witness, qui publie son rapport mardi 24 juillet, « la pire année enregistrée jusqu’ici ».

Les victimes sont des chefs coutumiers, des activistes… assassinés « alors qu’ils tentaient de protéger leurs domiciles et leurs communautés contre l’extraction minière, l’agrobusiness et d’autres industries destructrices », explique Global Witness.

Dans le domaine de ces meurtres la plupart du temps impunis – d’autant que, d’après l’ONG, les forces gouvernementales y sont associées pour plus d’un quart d’entre eux, quand près de la moitié seraient, eux, « commis par des acteurs non étatiques comme des gangs criminels » –, les statistiques sont choses difficiles à établir. Et la collecte d’informations souvent complexe. Il est donc probable que le chiffre réel soit bien plus élevé.

Néanmoins les experts de Global Witness sont en capacité de livrer la cartographie d’une planète où défendre l’environnement et le droit à la terre risque de coûter la vie. « Le Brésil a enregistré la pire année documentée dans le monde entier, avec 57 meurtres commis en 2017 », lit-on dans le rapport. Quarante-huit militants ont été tués aux Philippines, « chiffre le plus élevé jamais enregistré dans les pays asiatiques ». Avec le Brésil, le Mexique, le Pérou et le Nicaragua – « lieu le plus dangereux avec quatre assassinats par habitant » –, l’Amérique latine concentre 60 % de ces meurtres.

« On assassine des militants locaux parce que les gouvernements et les entreprises accordent plus de poids au profit rapide qu’aux vies humaines. Les rayons de nos supermarchés sont remplis de produits issus de ce carnage. Or les communautés courageuses qui résistent aux fonctionnaires corrompus, aux industries destructrices et à la dévastation environnementale sont brutalement réduites au silence », dénonce Ben Leather, responsable de campagne chez Global Witness.

Selon l’ONG, pour la première fois, c’est l’agrobusiness qui a été le secteur le plus meurtrier, avec « au moins 46 meurtres ». Ceux liés à l’extraction minière ont augmenté de 33 à 40, comparés à 2016 et 23 meurtres sont imputables au secteur de l’abattage.

En titrant son rapport « At What Cost » (« Le Prix à payer » en français), Global Witness veut démontrer que cette violence meurtrière est directement liée aux produits que nous consommons. Les secteurs incriminés, agrobusiness, extraction minière, abattage de forêts, braconnage produisent les ingrédients qui « entrent dans la fabrication de produits vendus en supermarché comme l’huile de palme pour les shampoings, le soja pour nourrir les bovins ou le bois pour les meubles », détaillent les auteurs du rapport.

« Attaques et menaces »

Et de citer l’exemple d’Hernan Bedoya, en Colombie, abattu de quatorze balles par un groupe paramilitaire parce qu’il protestait contre l’extraction de l’huile de palme et les plantations de bananiers sur des terres volées à sa communauté. Ou encore le massacre de huit villageois, aux Philippines, qui s’étaient opposés à une plantation de café sur leurs terres.

Amérique latine, Asie, Afrique… peu de continents échappent à cette violence meurtrière. Mais Global Witness dénonce aussi toutes les menaces qui visent à entraver la lutte des défenseurs de l’environnement : harcèlement judiciaire, arrestations, menaces contre les familles, violences sexuelles, surveillance illégale, menaces de mort, enlèvements…

Il s’agit bien, sans recourir nécessairement à l’assassinat, de décourager les militants et les représentants des communautés indigènes. « La grande majorité des défenseurs des droits humains au Honduras n’est pas capable d’agir dans un environnement sûr. Dans la plupart des régions du pays, ils sont victimes d’attaques et de menaces, ils subissent la criminalisation de leurs activités et l’impossibilité de recourir à la justice », dénonce par exemple Michel Forest, expert de la défense des droits humains aux Nations unies.

Pour autant, souligne Global Witness, ces militants ne fléchissent pas. « Cette communauté mondiale gagne en force et en visibilité. » Alors, l’ONG se tourne vers les consommateurs du monde entier pour mener ces combats « jusqu’aux portes du pouvoir et dans les salles des conseils d’administration des grandes entreprises ». Les gouvernements et les investisseurs doivent soutenir et protéger ces défenseurs, en renforçant les législations, en les faisant appliquer, en favorisant l’accès à la justice de ces communautés, en luttant contre la corruption et en garantissant que « le commerce se déroule de façon responsable », insistent les auteurs du rapport.