Comme souvent avec la fonction présidentielle, le débat divise les constitutionnalistes. Emmanuel Macron peut-il se rendre devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, comme le réclament le patron de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et celui de Génération.s, Benoît Hamon, après les révélations du Monde sur l’affaire Benalla ? La question qui touche à la séparation des pouvoirs ne fait pas l’unanimité chez les professeurs de droit public qui proposent des lectures différentes de la Constitution.

Pour Dominique Rousseau, interrogé mardi 24 juillet dans nos colonnes, « la commission d’enquête parlementaire peut demander à entendre le président de la République ». Le professeur de droit public à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne s’appuie sur l’article 67 de la Constitution, qui stipule que « le président (…) ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ». Selon M. Rousseau, la commission d’enquête n’étant « ni une juridiction ni une autorité administrative », rien ne s’oppose à ce que le chef de l’Etat soit auditionné, s’il le souhaite. Car contrairement à toute personne convoquée par la commission d’enquête qui risque deux ans d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende en cas de refus, le chef de l’Etat bénéficie de l’immunité pénale pendant son mandat.

« Protection de la fonction »

Denys de Béchillon fait une analyse strictement inverse. « Le président de la République ne peut en aucun cas aller devant une commission d’enquête, il n’y a pas de débat », répond au contraire le professeur de droit public à l’université de Pau. Selon lui, ce n’est pas l’article 67 de la Constitution qu’il faut lire, mais les articles 24 et 51-2. Ce dernier stipule que « des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée (…) pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24 ». L’article 24 est clair : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du gouvernement. » « Les commissions d’enquête sont là pour contrôler le gouvernement, pas le président de la République », résume M. de Béchillon. Et d’ajouter : « L’essence même de la Ve République est la séparation des pouvoirs et la protection de la fonction du président de la République : par l’immunité pénale et par son absence de responsabilité politique. »

Pour M. Rousseau, la séparation des pouvoirs ne serait pas mise à mal par une éventuelle audition du chef de l’Etat : « Il y aurait atteinte à la séparation des pouvoirs si la commission lui demandait des comptes sur sa politique (…) mais là, les questions porteront sur ses décisions en tant que chef de l’administration de l’Elysée. » « Si on pouvait convoquer le président à heure fixe, lui faire prêter serment et lui demander des comptes, on aboutirait forcément à juger sa politique », craint au contraire M. de Béchillon.