Hébergé dans une imposante demeure rouennaise à pans de bois, le Musée national de l’éducation (le Munaé) a sorti de ses collections, à l’occasion d’une campagne de restauration encore en cours, quelques-uns de ses trésors botaniques : des « modèles pédagogiques » à l’échelle 10 en papier mâché, réalisés au XIXe siècle par les Etablissements Auzoux. Leur fondation remonte à 1828, dans l’Eure, par un médecin passionné d’anatomie, le docteur Louis Auzoux (1797-1880). A l’origine, celui-ci fit produire et diffuser des modèles anatomiques démontables, bien plus pratiques – et hygiéniques ! – que les vrais cadavres, et bien plus réalistes que n’importe quel mammifère omnivore de substitution (tel le porc). Le succès ne tarda pas, et chaque amphithéâtre de médecine ne manqua pas de commander son écorché.

Prêté pour l’exposition jusqu’en septembre par l’université de Montpellier, cet extraordinaire « Grand écorché », récemment restauré, est entièrement démontable. / L. JEDWAB/"LE MONDE"

De l’anatomie humaine à la zoologie (nous écrivons, bien sûr, sous la dictée de Charles Darwin), il n’y a qu’un pas, que l’entreprise normande s’empressa de franchir en produisant des têtes de serpent impresionnantes ou des insectes démontables encore plus effrayants. Avant de se lancer dans la production et la diffusion auprès des écoles et des universités de modèles botaniques à visées pédagogiques, rien n’étant plus explicite, pour l’apprentissage de la reproduction sexuée, par exemple, que ces histoires de calices, de pistils et de pollen...

Campanule (« Campanula rapunculus ») dans son état actuel, avant sa restauration. / MUSÉE NATIONAL DE L'ÉDUCATION

Les conditions de fabrication des différents modèles relevaient de l’artisanat, selon une technique qui n’a pas changé pendant un siècle, et ce jusque dans les années 1950. Le terme de « papier mâché », employé couramment, n’est pas tout à fait... exact, et l’exposition nous dévoile l’ensemble du processus de fabrication. Celui-ci commence avec la disposition de feuilles de papier humidifiées avec une préparation « secrète » dans des moules en plomb et en étain ensérés dans des cadres de bois, comprimés dans une antique presse à main. Les armatures métalliques sont fixées et les finitions sont effectuées avec la coloration, grâce à différents pigments, des diverses parties à assembler.

Fruit de belladone à l’état de maturité, papier mâché, 1877. / MUSÉE NATIONAL DE L'ÉDUCATION

Le résultat est tout simplement stupéfiant de réalisme, même si les petits pois... géants ont l’air sortis d’un conte de fées. L’échelle (x 10) permet de bien visualiser les différents détails de la fleur, du fruit ou du légume. Et la matière même, moins cassante que le plâtre ou moins malléable que la cire, employés jusque-là, permet bien des manipulations répétées. A commencer par l’effeuillage d’une marguerite géante (en réalité un chrysanthème) ou l’autopsie d’un gland en train de germer, qui devaient bien étonner les jeunes élèves assistant aux « leçons de choses ». Les étudiants en pharmacie, quant à eux, se voyaient aidés dans la détermination des variétés de champignons comestibles, vénéneuses ou tout simplement curieuses, en apprenant à distinguer des morilles ou des Phallus impudicus...

Plateau de champignons. / L. JEDWAB/"LE MONDE"

De nouvelles techniques ont remplacé le papier mâché, faisant appel au métal, voire au plastique. Si celles-ci permettent de gagner en précision, elles manquent assurément du charme, rempli de poésie, des modèles d’origine. Mais peut-être que, dans le prolongement de celle du Musée de l’éducation, la visite du jardin des plantes de Rouen permettra-t-elle de découvrir des formes végétales vivantes tout aussi extraordinaires que les créations du bon docteur Auzoux...

Cardons (« Cynara cardunculus L. ») en fleurs, dans le jardin des plantes de Rouen. / L. JEDWAB/"LE MONDE"

« Belles plantes ! Modèles en papier mâché du Dr Auzoux », jusqu’au 25 février 2019, Musée national de l’éducation, 185, rue Eau-de-Robec, Rouen. Un livret illustré accompagne l’exposition, rédigé par un biologiste, Johann-Günther Egginger, Munaé/Canopé Editions, 48 p., 5 €.