Julian Alaphilippe, à l’arrivée de la 16e étape, le 24 juillet à Bagnères-de-Luchon. / Christophe Ena / AP

Chronique. Le vélo et la voile, à cause du rôle primordial du vent, aiment à se comparer. Ils travaillent maintenant avec les mêmes ingénieurs pour le matériel, l’étude du terrain, la physique, la météorologie. Ce travail porte sur l’optimisation des trois forces qui opposent une résistance à l’avancement de leur ensemble homme-machine : la pesanteur ou le poids, la résistance de l’air et son écoulement, et le frottement. Pour le 50e anniversaire du Golden Globe Challenge, course en solitaire autour du monde et sans escale, une édition vintage est partie cette année, sans radars ni ordinateurs. Comme si le Tour avait lieu sans oreillettes et sans capteurs de puissance.

En 1968, le vainqueur anglais, Sir Robin Knox-Johnston, bouclait sur son bateau de croisière un tour du globe en trois cent treize jours, quand le Néerlandais Jan Janssen gagnait sa Grande Boucle à 33,5 km/h de moyenne. En 2017, Armel Le Cléac’h explose le record du Vendée Globe en soixante-quatorze jours sur son 60 pieds quand Christopher Froome, pour son quatrième sacre, bat celui – officiel – du Tour à 40,99 km/h. Les poids des engins high-tech à voile ou à pédales ont baissé de plus d’un tiers. Un vélo ne peut pas peser moins de 6,8 kg. Ceci explique cela ?

Jean-Marie Leblanc, ancien patron du Tour, pour justifier la performance de Lance Armstrong (rayée des tablettes en 2005 à 41,65 km/h), m’écrivait : « Le sport dans le domaine des technologies suit l’évolution historique des connaissances humaines, il n’est intellectuellement pas honnête de subordonner les améliorations des performances à la pharmacopée. Les hommes, les machines, les routes évoluent. » Il avait raison et tort à la fois.

Au vu de la traversée des Alpes et de l’ascension sur les hauteurs de Mende, certains semblent toujours avoir « le vent-dans-l’-dos », expression imagée du jargon qui qualifie celui qui use d’artifices pour avancer, comme en permanence poussé par Eole, même vent debout !

Entraînements à jeun

Dans les cols, on ne bénéficie pas du même phénomène d’aspiration. Le vent est nul. Le vélo n’a pas de foil, comme en voile, et plus de moteur, comme cela a pu être le cas et comme France 2 l’a soupçonné pour le Slovène Primoz Roglic, 4è du classement général. Reste à jouer sur le rapport poids/puissance de l’homme pour s’élever plus vite. Perdre de la masse sans perdre de force. Bradley Wiggins, dès 2011, chez Sky, faisait des entraînements pour maigrir, sans glucides et parfois à jeun.

Wiggins et Geraint Thomas, initialement musclés et lourds, issus de la piste, sont devenus rachitiques mais avec un rapport poids/puissance de 70 kilos pour 450 watts développés en col et sur le plat. C’est imbattable pour les grands Tours, même par les grimpeurs. Le mieux est de coupler ces régimes d’entraînement « low carb » (pauvres en sucre) avec des corticoïdes, voire des amphétamines coupe-faim, afin d’accélérer le processus d’amincissement et de stimuler une puissance folle.

En 1968, c’est le Français Bernard Moitessier, annoncé vainqueur de la course organisée par le Sunday Times, qui devait l’emporter devant l’Anglais. Il préféra faire route vers l’océan Indien avant de franchir la ligne d’arrivée « pour sauver son âme ». En 1999, Christophe Bassons, qui refusait la tricherie et le revendiquait, quitta le navire du Tour. Pour les éditions 2018, les comportements du marin et du cycliste auraient-ils été différents ? Les pratiques et les mentalités évoluent moins vite que la technologie.

Antoine Vayer est enseignant. Vingt ans après l’affaire Festina, équipe dont il était l’entraîneur en 1998, il explore durant ce Tour de France les métamorphoses du cyclisme