En s’exprimant pour la première fois, dans un entretien au Monde, jeudi 26 juillet, Alexandre Benalla, ex-collaborateur d’Emmanuel Macron accusé de violences envers deux manifestants le 1er mai, apporte des faits nouveaux sur les images de vidéosurveillance qu’il a pu récupérer — illégalement — le soir même de nos révélations.

  • On ne sait toujours pas ce qu’a filmé la caméra

On ne le sait pas précisément. Sur la place de la Contrescarpe, dans le 5e arrondissement de Paris, une caméra de vidéosurveillance filme à 360 degrés, et a donc vraisemblablement pu filmer l’intégralité de la scène qui s’y est déroulée, en marge de la manifestation du 1er Mai : les violences de M. Benalla envers deux manifestants, mais aussi ce qui s’est déroulé avant et après leur interpellation.

Dans son entretien au Monde, Alexandre Benalla explique avoir été contacté par « quelqu’un à la préfecture de police » qui affirmait détenir « la vidéo du gars et de la fille en train de jeter des projectiles sur les CRS ». Cet interlocuteur, que M. Benalla refuse d’identifier, lui aurait proposé les images pour qu’il puisse « se défendre ». Ce qu’il a accepté.

  • Les images ont circulé illégalement

C’est une question majeure de l’affaire. Les images n’ont pas été transmises à l’inspection générale de la police nationale (IGPN, la « police des polices »), qui avait pourtant été saisie dès le 2 mai sur la base d’images filmées par des témoins. Marie-France Monéger-Guyomarc’h, la directrice de l’IGPN, a expliqué mardi 24 juillet, lors de son audition par des parlementaires, que ses services n’avaient pas reçu les images : « Le préfet de police aurait pu effectivement nous transmettre cette vidéo, je ne peux pas répondre pour lui. »

Les images ont cependant été conservées par la préfecture de police. Le 18 juillet, immédiatement après les révélations du Monde, elles ont été transmises à M. Benalla, illégalement. Trois fonctionnaires de police ont été sanctionnés pour cette raison. M. Benalla affirme qu’elles lui ont été proposées, et que ce n’est pas lui qui a cherché à les consulter. Dans son entretien au Monde, il dit avoir reçu un CD contenant les images, qu’il assure ne pas avoir consulté, et l’avoir transmis « à l’Elysée », « à un conseiller communication ».

Jeudi matin, l’Elysée a confirmé qu’Alexandre Benalla avait remis ces images à Ismaël Emelien, conseiller spécial du président de la République.

  • L’Elysée est soupçonné d’avoir voulu instrumentaliser les images

Cette transmission des images à l’Elysée constitue un point particulièrement problématique de l’affaire. La vidéo n’a pas été rendue publique, alors qu’elle constitue un élément-clé de compréhension de ce qui s’est passé ce 1er mai. Pis, M. Benalla affirme, dans son entretien au Monde, que le service de communication de l’Elysée a « essayé de la diffuser et de la fournir à des gens, pour montrer la réalité des faits ».

Ce qui laisse supposer que l’Elysée a tenté d’instrumentaliser ces images pour promouvoir « sa » version des faits, sans le faire publiquement, et ce alors que le gouvernement a promis à plusieurs reprises de faire toute la lumière sur les événements qui se sont déroulés place de la Contrescarpe.

Lire notre article sur la vidéosurveillance : Affaire Benalla : souriez, vous pouvez filmer
  • La conservation des images pose plusieurs questions

En France, la vidéosurveillance est très encadrée. Seules les autorités peuvent filmer ce qui se déroule sur la voie publique. Les images filmées ne sont pas librement accessibles à tous les fonctionnaires de police : la préfecture fixe une liste de personnes habilitées, établie par le préfet de police, qui « bénéficient à ce titre d’un accès sécurisé et sont tenues à une obligation de discrétion », comme le rappellent les arrêtés encadrant les installations.

Les images ne peuvent être conservées plus de trente jours — sauf dans les cas où une enquête en cours nécessite leur exploitation pour une durée plus longue. Elles peuvent dans ce cadre être transmises à d’autres services d’enquête. Des dérogations existent sur certains points dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Dans le cas précis de l’affaire Benalla, la légalité ou l’illégalité de la conservation des images est un point-clé. L’enquête déclenchée par l’IGPN, mise en suspens après quelques jours, n’avait visiblement pas requis la conservation de la vidéo du 1er mai. On ignore si une autre enquête, visant par exemple d’autres violences qui se seraient déroulées ce jour-là, a pu fournir une raison de leur conservation.

« En règle générale, conserver les images quelques jours suffit à effectuer les vérifications nécessaires en cas d’incident, et permet d’enclencher d’éventuelles procédures pénales. Si de telles procédures sont engagées, les images sont alors extraites du dispositif (après consignation de cette opération dans un cahier spécifique) et conservées pour la durée de la procédure », rappelle la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

Ironiquement, M. Benalla aurait pu, en mai, consulter tout à fait légalement les images de la place de la Contrescarpe : la loi prévoit que toute personne filmée par des caméras peut demander à voir les vidéos sur lesquelles elle apparaît.

  • L’efficacité de la vidéosurveillance reste encore à prouver

Paris a mis en place, depuis 2009, un large plan d’équipement en caméras de vidéosurveillance. Un peu plus d’un millier de caméras, gérées par la préfecture de police, filment la voie publique. S’y ajoutent environ 30 000 caméras équipant les réseaux de transport, pour lesquelles les images ne sont conservées que soixante-douze heures, et que les forces de l’ordre peuvent réquisitionner en cas de besoin.

La capitale compte aussi un nombre indéterminé de caméras privées, qui équipent banques, commerces et entreprises, dont les images peuvent également être réquisitionnées, mais qui obéissent à des règles plus strictes — elles ne peuvent notamment pas avoir pour but premier de filmer la voie publique.

La plupart des grandes villes françaises ont déployé des systèmes de vidéosurveillance, d’importance variable. Avec 2 030 caméras, Nice est la ville la plus vidéosurveillée de France par rapport à sa population. Mais la vidéosurveillance s’est aussi développée ces dernières années dans des communes plus petites.

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