Voilà six années que la bibliothèque de Beaune, petite cité bourguignonne aux remarquables toits de tuiles colorées, collectionne les marque-pages abandonnés par ses lecteurs. Les mots tendres, objets incongrus ou lettres oubliées laissés entre les pages d’ouvrages destinés au prêt font, depuis le 21 juillet, l’objet d’une exposition en vitrine de la bibliothèque municipale. Tour d’horizon de ses plus beaux chefs-d’œuvre.

« Pendant que tu ronfles, je vais marcher »

Bien sûr, il y a des mots d’amour. Ces petits Post-it ornés de cœur, sur lesquels une main enfantine et inquiète a demandé à un écolier inconnu s’il aimait Marie « en amoureusse ». Un cœur pour toute signature. Post-it suivant, deux cœurs et une faute d’orthographe. « Je t’aime M., je suis prèsse de te voir au carnaval ». Non loin, une carte postale. Un certain Cyril adresse à une muse inconnue un sobre « mon amour, tu m’as manqué, je t’aime ». Autre petit mot, témoin des vertiges de la vie commune. « Pendant que tu ronfles, je vais marcher… Bisous ».

Au nombre des petits mots glanés au fil des pages, une lettre d’amour venue d’une époque où l’on en écrivait encore. « Mon chéri, comme promis je viens te passer ces quelques lignes pour te faire savoir que tout continue à aller comme lorsque tu étais là, dans nos propos tu es toujours là », lit-on sur une feuille de papier jaunie abandonnée entre deux chapitres depuis 1972.

Et puis, il y a les marque-pages de fortune. Une entrée à Disneyland, du papier d’Arménie, un ticket de métro, un jeu à gratter, la place d’un concert de David Gilmour, ou bien ce petit papier aux grosses lettres rouges : « Accident cardiaque : il faut réagir vite, c’est une urgence vitale ».

D’autres urgences vitales nécessitent parfois l’intervention de marque-pages de fortune. Ainsi, cette feuille de papier toilettes oubliée dans un livre, voisine d’une feuille d’arbre qui, peut-être, connut le même usage. « Cela nous a un peu étonnés, le coup du PQ », reconnaît, amusée, Anaïs, la bibliothécaire.

Au milieu de cet inventaire à la Prévert, de vraies listes. De course ou d’ingrédients. « 1 tube de jouvence, eau précieuse, doliprane », lit-on sur un papier ayant vraisemblablement appartenu à une adolescente migraineuse dans une vie antérieure. A ses côtés, une recette de cuisine obscure, tracée en lettres enfantines. « 20 cl lait. 2 œufs + 1 jaune. Ail. Oignon ».

Parmi les marque-pages exposés jusqu’au 1er septembre, des tentatives de réconciliation. « Pardon maman chérie de ne pas avoir étaits gentil avec toi ce matin », voit-on sur un papier orné d’un cœur géant – quelque part à côté d’un « je t’aime moumoune adorée » orné de moult étoiles. Et puis cette phrase, que l’on croirait issue d’un dictionnaire d’aphorismes chinois : « La lenteur de l’escargot ignore la montée et la descente ». Parmi les cent cinquante œuvres infimes exposées, des photos. « Une dame est venue à l’exposition. Il y avait cette photographie d’elle il y a vingt ans, elle ne s’est pas reconnue », dit amusée Anaïs. Qui espère voir ces marque-pages, cocasses ou intimes, s’en retourner à leurs propriétaires. Et continuer leur voyage de livre en livre.