Jean-Claude Juncker et Donald Trump, à la Maison Blanche, à Washington, le 25 juillet. / JOSHUA ROBERTS / REUTERS

Editorial du « Monde ». Un répit et plus si affinités. Lorsque le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s’est envolé pour Washington afin de tenter de désamorcer l’escalade vers la guerre commerciale enclenchée par Donald Trump, il ne s’attendait sans doute pas à obtenir autant de l’impulsif président américain. Pour la première fois depuis le début de la crise, les Etats-Unis ont accepté, le 25 juillet, de modérer le ton et de troquer les ultimatums contre des discussions en bonne et due forme. Si cette accalmie est bienvenue, ses modalités restent encore très floues. L’Europe doit rester prudente face à ce qui s’apparente plus à un compromis tactique de la part de M. Trump qu’à un changement radical de stratégie.

L’Europe a accepté d’ouvrir des discussions en vue d’éliminer les barrières commerciales transatlantiques, s’est engagée à acheter plus de soja et de gaz naturel américains, et, en contrepartie, a obtenu l’assurance que Washington reverrait sa position sur les taxes ­concernant l’acier et l’aluminium, et renoncerait, dans un premier temps, à frapper le secteur automobile. Les éléments de cette négociation ont de quoi laisser dubitatif.

D’abord, contrairement à la ligne adoptée jusque-là, l’UE donne le sentiment d’accepter de discuter « avec un pistolet sur la tempe ». En ramenant les Européens à la table des négociations sans avoir accepté comme préalable de retirer les taxes sur l’acier et l’aluminium décidées fin juin en toute illégalité, M. Trump marque un point. La France a pris ses distances avec cette approche, qui risque d’entraîner l’UE sur le terrain du président américain sans avoir rien obtenu de concret.

Par ailleurs, les termes de cette négociation se heurtent aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les accords préférentiels. Ce serait un nouveau coup de canif donné au multilatéralisme, que M. Trump voue aux gémonies. Enfin, annoncer des négociations avec le seul pays qui a quitté l’accord de Paris sur le climat ne fait qu’affaiblir un peu plus cet accord.

Calculs de court terme

Les promesses de l’UE paraissent difficilement tenables. Le gaz américain coûte deux fois plus cher que le gaz russe, et il faudrait que les Européens se dotent de coûteuses infrastructures pour pouvoir changer leurs sources d’approvisionnement. Quant au soja, c’est un sujet qui dépend des marchés agricoles mondiaux, pas d’un accord politique. Les Européens en achèteront aux Américains s’il est compétitif et en fonction de leurs besoins, pas pour faire plaisir aux agriculteurs du Midwest.

La déclaration d’intention signée à Washington semble répondre à des calculs de court terme. La politique commerciale de M. Trump commence à provoquer la grogne des agriculteurs, de certains industriels et d’élus du Parti républicain. Le président avait besoin de faire retomber la pression. D’autre part, ce rapprochement avec l’UE peut être vu comme un moyen d’isoler la Chine, qui reste son principal sujet de préoccupation.

De son côté, M. Juncker obtient un sursis sur l’automobile, à la grande satisfaction de l’Allemagne. C’est un deuxième point pour M. Trump, qui parvient à entretenir les divisions au sein de l’UE. Celle-ci n’est pas à l’abri d’un nouveau revirement américain. Gagner du temps comme elle vient de le faire n’est qu’un pis-aller. Les Européens doivent poursuivre leur objectif de long terme : réinventer un multilatéralisme renforcé mais plus équitable, dans le cadre de l’OMC, avec ou sans les Etats-Unis.