Série documentaire sur France Culture à 9 h 05

Sigmund Freud après son arrivée à Londres le 6 juin 1938. / AFP

Freiberg, 1856. Londres, 1938. Entre ces deux lieux, ces deux dates : une vie et une œuvre qui n’ont cessé d’être commentées, interprétées, montées au pinacle tout autant que vouées aux ­gémonies avec une virulence qui n’a d’égale que la dévotion de ses idolâtres. Après des décennies de luttes, de diatribes, d’anathèmes et de contre-vérités, en 2014, à la faveur de nouvelles archives, ­Elisabeth Roudinesco offrait, avec Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre (Seuil), une remarquable biographie historique.

Une œuvre de référence qui a permis de mieux saisir la complexité de cet homme paradoxal qui fut le fondateur de la psychanalyse. C’est dans les pas de l’historienne que semble s’inscrire Christine Lecerf qui lui consacre une « Grande Traversée » de près de dix heures, aussi éclairante que documentée dans le propos que dense et stimulante dans l’analyse.

A l’instar de l’historienne de la psychanalyse, qui compte parmi la dizaine d’intervenants (Jean Clair, Lionel Naccache, Jacques Le Rider…), Christine Lecerf suit un tracé chronologique, avec ce qu’il faut de mise en perspective et de recontextualisation socioculturelle, notamment sur l’Empire austro-hongrois vers lequel émigrent, comme nombre de familles juives, les Freud. Son récit nous conduit de la maison natale de Freiberg, en Moravie, où « Siggi l’enfant en or », comme le qualifiait sa mère, passa ses premières années, dans la pauvreté et la promiscuité, à sa dernière demeure londonienne, en faisant halte à Vienne, « sa patrie », en parti­culier au 19 Berggasse où il a vécu, reçu ses patients et réuni ses amis, collègues et disciples.

Genèse d’une pensée novatrice

Avant la naissance du mouvement psychanalytique, Christine Lecerf revient successivement sur « l’enfant heureux de Freiberg » qui ­connaît un premier exil à 3 ans, l’élève brillant, pétri de culture classique, et l’étudiant qui mena un double cursus de philosophie et de science avant de s’orienter vers la médecine, plus précisément la neurologie. C’est là, dans le tracé de l’homme, de sa formation ­intellectuelle, de ses lectures, de sa ­culture juive « Mittel­europa », mais aussi de ses tâtonnements, de ses expérimentations, que se dessine la genèse d’une pensée novatrice, révolutionnaire.

Sans céder à la simplification, mais avec clarté toujours, psychanalyste, historiens, écrivain, neurologue, biographe se succèdent pour expliquer et analyser les grands principes. Le tout illustré de lectures de ses textes et surtout de son abondante correspondance, qui donne la mesure de l’épistolier que fut Freud.

Lou Andreas-Salomé et Marie Bonaparte

Battant en brèche, après d’au­tres, l’image d’un savant génial, ­solitaire et incompris, Christine Lecerf insiste tout particulièrement sur l’apport des femmes. « Freud a appris à penser le féminin grâce à ses patientes, notamment celles devenues analystes », souligne l’historienne Lisa Appignanesi. Mieux, elles constituent ici le véritable fil rouge de cette formidable traversée. Avec, en point d’orgue, les portraits de Lou Andreas-Salomé, de Marie Bonaparte son « ambassadrice en France », et le témoignage émouvant de Vera Ligeti qui, à 88 ans, continue de perpétuer à Vienne l’héritage du père de la psychanalyse.

La Grande Traversée : Moi, Sigmund Freud, de Christine Lecerf. Du lundi 30 au vendredi 3 août à 9 h 06 sur France Culture (Fr., 2018, 5 × 105 min).