Islamabad, le 30 juillet. Affiche de campagne du Mouvement du Pakistan pour la justice, le parti de l’ex-star du cricket Imran Khan, sorti vainqueur des élections générales pakistanaises du 25 juillet. / AAMIR QURESHI / AFP

Editorial du « Monde ». La victoire de l’ex-star du cricket, Imran Khan, et de son parti, le Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), aux élections générales pakistanaises du 25 juillet a des allures de nouvelle ère, au regard de l’histoire de ce pays situé au cœur d’enjeux politiques régionaux sensibles. C’est la première fois que cette personnalité, qui s’était contentée d’un rôle de contestataire populiste sans programme, accède au pouvoir. Sa formation, le PTI, renouvelle, de plus, un champ politique trusté jusque-là, alternativement, par le Parti populaire pakistanais (PPP) et la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N).

L’émergence d’Imran Khan, personnage flamboyant, illustre le souhait de la population pakistanaise d’assainir les mœurs d’un pouvoir civil disqualifié par des affaires de corruption, qui ont coûté leur poste aux dirigeants qui l’ont précédé. Sa victoire a été favorablement accueillie par les Etats-Unis, qui ont sanctionné financièrement, en janvier, ce pays pour son double discours à l’égard des groupes islamistes insurgés de la région, condamnant d’un côté leur violence et les instrumentalisant de l’autre pour déstabiliser son voisin afghan.

Enfin, le PTI, ayant gagné de nombreux sièges dans des bastions du PML-N, jugés imprenables, au Pendjab, et ayant consolidé ses bases dans les zones pachtounes de l’est et du sud, porte l’espoir d’un renouveau de la démocratie pakistanaise. Pour autant, cette victoire invite, également, à la prudence sur la réalité d’un tournant politique.

Les putschs ont scandé l’histoire du pays

Cette élection n’a, en effet, pas fait table rase d’une problématique qui structure le Pakistan depuis dix ans : un rapport de force entre les pouvoirs civil et militaire. Les putschs ont scandé l’histoire du pays et le rythme démocratique n’a été rétabli qu’en 2008. Aujourd’hui emprisonné pour la gestion financière d’avoirs familiaux, Nawaz Sharif, ex-chef du PML-N, démis de ses fonctions de premier ministre en 2017, incarnait cette résistance des civils face aux prétoriens. Lors de ses deux précédents mandats de premier ministre (1990-1993 et 1997-1999), les tensions avaient culminé avec le coup d’Etat du général Pervez Musharraf.

Si les militaires pakistanais, qui constituent également un pouvoir économique, semblent avoir, depuis 2008, renoncé au recours à la force, de forts soupçons pèsent, aujourd’hui, sur leur volonté d’agir par procuration, utilisant des relais politiques acquis à leur cause ou soucieux de ne pas s’opposer à leurs intérêts. C’est le doute qui plane depuis plusieurs années sur Imran Khan. Au cours de sa campagne, le futur nouveau premier ministre s’est aligné sur une bonne partie des positions historiques de l’armée. Résolument nationaliste en matière de politique étrangère et régionale, il a pu laisser croire que le gouvernement civil qu’il pourrait diriger ne définirait pas les grandes orientations du pays, mais pourrait porter celles de l’armée.

Les militaires le connaissent depuis longtemps. En 1987, pour satisfaire l’attente de l’opinion publique, le président putschiste Muhammad Zia Ul-Haq lui avait demandé de se remettre au cricket. Il a côtoyé le général Musharraf avant de s’en éloigner et il a été proche d’Hamid Gul, l’ex-chef des services secrets militaires pakistanais dans les années 1980. Il lui faut donc maintenant convaincre qu’il n’est le pantin de personne et que cette élection n’a pas placé la démocratie pakistanaise sous tutelle pour que s’ouvre véritablement une nouvelle ère politique.