Banc de brèmes communes en Méditerranée. / BORIS HORVAT / AFP

Les émissions de CO2 s’intensifient et les poissons en perdent leur flair. Une étude anglo-saxonne parue dans la revue Nature Climate Change le 23 juillet révèle que les facultés olfactives des poissons – indispensables à leur survie – seront très fortement altérées par la concentration en dioxyde de carbone atmosphérique si les émissions de carbone continuent de croître au rythme actuel d’ici à la fin du siècle. L’odorat étant essentiel pour détecter la présence de prédateurs et rechercher de la nourriture.

« Cet article apporte un éclairage sur la façon dont la physiologie des poissons réagit à une eau acidifiée par la dissolution des molécules de CO2 », souligne José-Luis Zambonino-Infante, physiologiste des larves de poissons à l’Ifremer.

Pour ce faire, les chercheurs de l’université d’Exeter ont comparé le comportement d’une espèce marine, le bar commun européen, dans deux environnements distincts. Une première population a été exposée à un milieu où la concentration atmosphérique en gaz carbonique avoisine les 450 parties par millions (ppm), ce qui correspond plus ou moins au taux actuel. Une seconde a été soumise à des teneurs comprises entre 800 et 1 000 ppm, valeurs prédites pour la fin du siècle si la frénésie des activités humaines polluantes ne s’atténue pas.

Les observations sont sans appel : les animaux confrontés à l’eau la plus acide se meuvent moitié moins, se paralysent dans des situations où aucun danger ne pointe, ne changent quasiment pas leur comportement en présence de l’odeur d’un prédateur. « L’étude met en évidence un relâchement de la vigilance des poissons en milieu acide », explique le spécialiste. Ce qui diminue leurs chances de survie.

Récepteurs olfactifs touchés

« Notre travail cherche surtout à comprendre les raisons de ce phénomène », précise Cosima Porteus, physiologiste des poissons à l’université d’Exeter et principale autrice de l’étude. En cause : une baisse de la sensibilité olfactive. « Le sens de l’odorat est réduit de moitié pour la population soumise aux concentrations de gaz carbonique les plus élevées », souligne la chercheuse.

Soumettant les deux populations à différentes catégories de senteurs, l’étude révèle quelles sont les molécules odorantes les moins bien détectées en eau acide. Celles qui stimulent les récepteurs olfactifs de l’animal en présence de nourriture et celles qui signalent l’approche d’un prédateur sont les plus touchées. « Dans l’environnement le plus acide, les poissons doivent se trouver 42 % plus proches de la source odorante pour qu’elle soit repérée, indiquent les scientifiques anglo-saxons. Nous pensons que l’acidité de l’eau détériore la qualité de l’association entre le récepteur olfactif et la molécule odorante »

La recherche démontre également une altération directe, pour la population soumise au milieu le plus riche en CO2, des récepteurs olfactifs eux-mêmes. Ceux-ci se trouvent au niveau nasal et ont pour dessein, via des relais nerveux, de transmettre au cerveau les perceptions des odeurs. La conclusion est tristement surprenante. « Nous pensions initialement que les poissons soumis à l’eau la plus acide allaient accroître la synthèse de ces récepteurs, pour compenser leur moindre détection des odeurs », souligne la spécialiste. Mais c’est le contraire qui se produit et le problème s’en trouve exacerbé. Moins de récepteurs olfactifs sont exprimés dans le milieu le plus riche en CO2.

Étude majeure

L’acidité de l’océan provoque de nombreux troubles sur la biodiversité aquatique et tous ne sont pas connus. Loin s’en faut. « Nombreux sont les travaux qui se sont attachés à démontrer les effets directs de la diminution du PH des océans sur les organismes vivants calcaires comme le plancton ou les mollusques bivalves, explique Philippe Cury, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. La force de ce papier est qu’il explore l’une des conséquences indirectes de l’acidification de l’eau. »

Un groupe de recherche mené par le professeur Phil Munday de l’université australienne James Cook a mis en évidence, il y a dix ans déjà, le dysfonctionnement olfactif des poissons en milieu acide. « Mais leurs travaux s’attachaient à comprendre le phénomène au niveau du cerveau, analyse José-Luis Zambonino-Infante. Dans cet article, on apprend que l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère a également des conséquences néfastes sur des organes sensoriels périphériques, c’est-à-dire situés à l’extérieur du cerveau et de la moelle épinière. »

Mais cette recherche est avant tout « un cri d’alarme », proclame Cosima Porteus elle-même. Partant du principe qu’en diminuant les émissions de carbone dans l’atmosphère, les bouleversements révélés n’auront pas lieu. Et de conclure, optimiste : « Il reste de l’espoir ! »