Akshay Venkatesh, un des lauréats de la médaille Fields 2018. / Rod Searcey

La promotion 2018 des médailles Fields, remises mercredi 1er août à Rio de Janeiro, marque la confirmation de l’internationalisation des mathématiques. Pour la première fois, le congrès de l’Union mathématique internationale, grand-messe quadriennale de la discipline, se tient dans l’hémisphère sud, du 1er au 9 août. La conférence s’est ouverte par la proclamation des lauréats d’un des prix les plus prestigieux, réservé à des chercheurs de moins de 40 ans. En plus du trophée en or, les lauréats reçoivent 15 000 dollars canadiens (10 000 euros).

Pour la première fois depuis 1990, l’Ecole française, qui brille habituellement dans ce genre d’événement, comme seconde nation la plus primée, n’a pas de récipiendaire. L’Hexagone se contentera de quatre conférenciers, dont trois femmes, en séance plénière d’une heure, ce qui est néanmoins une forme de forte reconnaissance internationale.

Caucher Birkar, un des lauréats de la médaille Fields 2018. / https://www.dpmms.cam.ac.uk/~cb496/

Parmi les lauréats, on trouve un chercheur d’origine iranienne, Caucher Birkar (40 ans) et un autre né en Inde et passé par l’Australie, Akshay Venkatesh (36 ans). Caucher Birkar, fils d’agriculteurs, a été initié aux mathématiques par son grand frère avant de quitter son pays en 2000 pour l’Angleterre, où il obtiendra le statut de réfugié et un poste de professeur à l’université de Cambridge. C’est le deuxième Iranien à être récompensé. En 2014, Maryam Mirzakhani, morte en 2017, avait ouvert la voie, en étant en plus la première femme lauréate sur 56 mathématiciens depuis 1936.

Akshay Venkatesh a suivi ses parents en Australie à l’âge de dix ans, puis brille aux olympiades de mathématiques avant de partir pour les Etats-Unis. Il est professeur à l’université de Stanford depuis 2008 et a été invité en 2018 un an à Princeton. Il est le deuxième mathématicien d’origine indienne à être récompensé.

Les deux autres lauréats sont des Européens mais dans des pays finalement peu primés malgré leur haut rang scientifique. Il s’agit de l’Allemagne avec Peter Scholze (30 ans) et de l’Italie avec Alessio Figalli (34 ans). Ces deux nations n’avaient été récompensées qu’une fois jusqu’à présent. Malgré son jeune âge, Peter Scholze, professeur à l’université de Bonn, ne bat pas le record de Jean-Pierre Serre, primé en 1954 à 27 ans.

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À noter que la France n’est pas si absente puisqu’Alessio Figalli a effectué une partie de sa thèse à l’ENS Lyon sous la codirection de Cédric Villani (médaille Fields 2010 et député LRM depuis 2017) et Luigi Ambrosio. Il a également été un an au CNRS, avant même d’avoir sa thèse, qu’il a d’ailleurs terminée en un an et demi. Il a aussi été un an titulaire d’une chaire à l’Ecole polytechnique. Il est désormais professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Zürich en Suisse. Les positions académiques (Stanford, Cambridge, Zürich) témoignent aussi de cette internationalisation de la science et de la compétition pour attirer les meilleurs.

Ouvrir de nouveaux chemins

Malgré leurs différences, tous ces chercheurs ont comme point commun de jeter des ponts entre divers domaines de leur discipline dans l’espoir d’ouvrir de nouveaux chemins vers la connaissance. Trois des quatre lauréats travaillent dans la même grande branche très fondamentale des mathématiques, la géométrie algébrique. Ce domaine est la synthèse entre les approches géométriques des problèmes (un cercle se « dessine » comme le lieu des points équidistants d’un autre) et algébriques (un cercle est aussi une équation x2 + y2 = 1, par exemple, sur laquelle on peut faire des opérations). Cette double vision permet d’attaquer des problèmes différemment ; ce qui se trouve difficile à résoudre en géométrie peut se révéler plus commode en algèbre et vice versa.

Plus précisément, il s’agit le plus souvent d’étudier les ensembles de solutions d’équations compliquées, à plusieurs variables, réelles ou complexes, avec des coefficients entiers ou non… Connaître la dimension de ces ensembles, leurs formes, leurs limites est plus important et plus profond que de connaître ces solutions dans des cas particuliers. Mais très vite, cela devient très abstrait car ces objets sont très grands, très tordus et aux propriétés mystérieuses. Bon nombre de mathématiciens essaient donc de les classer, les transformer pour les rendre plus clairs…

Caucher Birkar a ainsi montré que, dans certains cas, on pouvait transformer ces espaces compliqués en objets plus simples. Reste à généraliser cela à tous les cas… « Il est clairement le meilleur expert mondial du sujet », constate Jean-Pierre Demailly, professeur à l’université Grenoble-Alpes.

Akshay Venkatesh, qui est aussi un spécialiste de la théorie des nombres, s’intéresse à des fonctions décrivant ces espaces en sondant leurs propriétés dynamiques. Comme le son d’une membrane vibrante peut renseigner sur la forme du tambour dont il est issu sans qu’on la connaisse a priori. « Il a su introduire des méthodes venant d’autres domaines des mathématiques pour débloquer les situations », indique Philippe Michel, professeur à l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne.

Peter Scholze, lauréat de la médaille Fields 2018 / George M. Bergman

Enfin, Peter Scholze a pris encore plus de hauteur en développant, en 2012, une nouvelle manière de voir tous ces problèmes, qui utilise des outils extrêmement complexes, les espaces perfectoïdes, impossibles à se représenter… Le même « geste » généralisateur avait été effectué dans les années 1950-1960 par Alexander Grothendieck, père du renouveau de la géométrie algébrique et dont l’héritage continue d’être fructueux. « Peter est d’une rapidité incroyable, estime Laurent Fargues, directeur de recherche au CNRS à l’Institut de mathématiques de Jussieu. Il a aussi la capacité à développer une théorie autour d’un problème ».

Alessio Figalli, un des lauréats de la médaille Fields 2018. / Tatjana Ruf

Seul le quatrième lauréat, Alessio Figalli, n’est pas dans cette catégorie de la géométrie algébrique. Même si ses mathématiques sont également très théoriques, elles paraissent plus appliquées. En tout cas, les objets qu’il étudie sont plus « concrets » puisqu’il s’intéresse à des équations générales régissant des phénomènes physiques liés au transport de matière, comme la forme des nuages ou des cristaux. « Alessio était le plus brillant des élèves sortis de la prestigieuse Ecole normale de Pise, spécialisée dans l’analyse », se souvient Cédric Villani.