Le renouveau insufflé depuis deux dans le monde du notariat doit se poursuivre à tout prix. C’est le sens des recommandations faites par l’Autorité de la concurrence (ADLC), dans un avis publié mardi 31 juillet. Elle suggère l’installation de 700 notaires supplémentaires, de 2018 à 2020, dans les territoires où la présence de ces professionnels du droit s’avère, à ses yeux, insuffisante. L’objectif est double : ouvrir l’accès du secteur à de nouveaux profils, plus jeunes et plus féminins, et améliorer le service fourni – tant sur le plan des délais que des tarifs.

Les préconisations dévoilées mardi résultent de la loi Macron d’août 2015 qui prévoit une libéralisation partielle – ou « régulée » – du notariat. Avant la réforme, les personnes qui voulaient exercer cette activité avaient le choix entre deux options : être présentées par un notaire déjà établi ou – plus rarement – passer un concours. Désormais, la liberté d’installation est la règle dans les bassins de vie où l’offre notariale est jugée trop faible : à charge pour l’ADLC de délimiter les zones où ce principe s’applique. C’est ainsi que l’Autorité a proposé en 2016, à travers une « carte » soigneusement dessinée, de permettre à 1 650 candidats de se lancer dans le notariat d’ici à 2018.

A cette première vague s’en ajoute donc une seconde, dont les détails ont été présentés mardi. Il s’agit de « remédier à la pénurie dans un secteur où la demande est dynamique », a rappelé Isabelle de Silva, la présidente de l’ADLC, lors d’une rencontre avec quelques journalistes. Le saut quantitatif suggéré pour les deux prochaines années est de moindre ampleur que pour la période 2016-2018 : + 7 % dans le premier cas contre environ + 20 % dans le second, d’après Mme de Silva.

« Nous pensons qu’il faut continuer sur un mode progressif et raisonnable », a-t-elle précisé, de manière à ne pas mettre en péril les offices notariaux déjà en place. Se projetant sur le « temps long », conformément à l’un des axes de la loi Macron, l’Autorité estime qu’il existe « un potentiel de création (…) compris entre 1 800 et 2 300 » à l’horizon 2024. A la fin mai 2018, on recensait un peu moins de 10 000 notaires, titulaires ou associés, exerçant leurs fonctions dans un cadre libéral (sans compter les quelque 2 500 notaires salariés).

Situation paradoxale

Sur le papier, les ambitions affichées ont l’air simple à mettre en œuvre. L’expérience montre cependant qu’il n’en est rien. La cible des 1 650 nouveaux notaires sur la période 2016-2018 « ne pourra pas être totalement atteint[e] », comme le signale l’avis diffusé mardi. Dans onze zones (notamment à Amiens, Rouen, Laval et Le Mans), il n’y a pas de candidat. Et il manque encore des professionnels dans environ trente autres zones. « Quand bien même [des] nominations interviendraient à court terme, il est vraisemblable que certaines feraient l’objet de renonciations », reconnaît l’ADLC, en indiquant que des « aspirants notaires », désignés par le ministère de la justice, ont finalement jeté l’éponge en s’abstenant de prêter serment.

Une situation qui peut sembler paradoxale dans la mesure où l’ouverture de 1 650 « places » a suscité un vif engouement : quelque 7 500 personnes, physiques ou morales, ont postulé, en déposant le plus souvent plusieurs dossiers (voire des dizaines, dans certains cas). S’il subsiste, au final, des zones non pourvues, la faute en revient, « en partie au moins », à la procédure, lourde et assortie de « délais très longs d’instruction » (parfois plus d’un an). Des idées sont d’ailleurs formulées par l’Autorité pour fluidifier le traitement et la sélection des demandes (notamment en remplaçant le tirage au sort manuel par un dispositif similaire à celui instauré à l’entrée de l’université avec Parcousup).

Pour autant, a insisté Mme de Silva, mardi, le bilan de la réforme est synonyme d’« un vrai succès ». Le nombre de professionnels a cru d’environ 15 % en deux ans, ce qui a permis de renforcer la « densité notariale ». La libéralisation a également favorisé l’entrée des femmes dans le secteur, leur part dans les effectifs atteignant 43 % à la fin 2017, soit huit points de plus en deux ans. Et un petit coup de jeune s’est produit, l’âge moyen des notaires étant abaissé d’environ deux ans (à 46,8 ans). Ces transformations « n’ont pas affaibli » les offices existants, a observé Mme de Silva : pour elle, il convient donc de soutenir la dynamique en cours.

« La procédure a beaucoup de retard »

Sans surprise, les instances représentatives de la profession, qui s’étaient opposées à la loi Macron, désapprouvent les recommandations de l’ADLC. Il est « totalement aberrant » de prôner 700 notaires de plus, alors même que l’impact de la première vague, sur 2016-2018, n’a pas pu être évalué correctement, considère le président du Conseil supérieur du notariat (CSN), MDidier Coiffard. « La procédure a beaucoup de retard », dit-il. Sur les 1 650 nouveaux notaires programmés de 2016 à 2018, seuls 700 environ seraient « réellement en activité », à l’heure actuelle, d’après le CSN.

En outre, les résultats engrangés par ces nouveaux entrants ne sont pas mirobolants, complète Me Coiffard, en se prévalant de chiffres qui sont différents de ceux mentionnés dans l’avis de l’ADLC. Par conséquent, le président du CSN réclame « une pause » dans le développement du réseau notarial, « pour laisser le temps » à ceux qui se sont récemment installés de prendre leurs marques et de faire décoller leur chiffre d’affaires. Un souhait que l’Autorité rejette.

Reste maintenant à savoir si les propositions de l’ADLC seront suivies par l’exécutif. En 2016, elles l’avaient été, s’agissant du nombre de notaires à désigner. Le ministère de la justice, qui a un rôle de tutelle de la profession, affirme, par la voix de son porte-parole, Youssef Badr, que l’avis rendu va être étudié « avec attention ». « La réforme a été menée avec succès et la chancellerie a parfaitement respecté les objectifs précédemment définis, assure M. Badr. Elle respectera de la même manière la lettre, l’esprit et le calendrier de la loi pour l’avenir. »