Devant la Maison de la presse à Bamako, le 1er août 2018. / ISSOUF SANOGO / AFP

Aïsseta Diallo ne s’est pas déplacée pour voter le 29 juillet car, dit-elle, « Soumi ou le vieux, c’est la même chose ». Indifférente aux deux principaux favoris du scrutin, Soumaïla Cissé et le président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), comme à l’ensemble des affaires politiques du pays, cette commerçante se moque bien que les résultats de l’élection se fassent toujours attendre. « Nous, tout ce qu’on veut, c’est du calme. Nous sommes fatigués », ajoute Yacou, chauffeur de taxi dans le centre de Bamako.

Depuis le scrutin, aucune fièvre électorale ne fait bouillonner la capitale malienne. Dans les quartiers généraux des candidats, pas d’effervescence. Seuls les affiches et slogans placardés dans les rues rappellent qu’une élection présidentielle a eu lieu dimanche. Le taux de participation à ce premier tour, qui n’a pas encore été annoncé, devrait être faible. Autour de 37 %, selon les estimations du Pool d’observation citoyenne du Mali (POCIM), la plus importante mission d’observation nationale. Un chiffre « normal » pour un scrutin présidentiel au Mali : les cinq derniers n’ont jamais mobilisé plus d’un électeur sur deux.

Torpeur citoyenne

Cette torpeur citoyenne tranche avec l’impatience des concurrents. Une quinzaine d’entre eux n’ont pas attendu la publication des résultats pour dénoncer, mercredi 1er août, « un bourrage d’urnes et l’attribution de résultats fantaisistes à des candidats » et promettre qu’ils n’accepteraient pas « les résultats affectés par les irrégularités ». Pour lever le doute sur ces soupçons de fraude, cette ébauche de front commun a réclamé la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote.

Selon le ministère de l’administration territoriale (MATDS), 767 bureaux, soit 3,3 % du total, ont été privés d’élection. La mission d’observation de l’Union européenne (UE), tout comme l’opposition, a réclamé à plusieurs reprises une publication de la liste détaillée de ceux-ci. En vain. Contacté, le ministère n’a pas souhaité faire de commentaire à ce sujet.

« Les 767 bureaux se situent pour beaucoup dans des zones favorables à Soumaïla Cissé. Le gouvernement savait très bien, avant le vote, qu’il n’allait pas y avoir d’élection dans ces zones, dénonce Tiébilé Dramé, directeur de campagne du chef de file de l’opposition. Le fait que le ministère refuse de publier une liste détaillée […] montre que le gouvernement est embarrassé à ce sujet. »

A Bamako, la compilation des résultats acheminés depuis les différents cercles du Mali se poursuit sans publicité. Selon le MATDS, les résultats d’une quinzaine d’entre eux (sur 49) ont été établis. Après de difficiles négociations, les observateurs nationaux et internationaux ont été autorisés à assister à cette étape cruciale du processus électoral. Mais ils n’ont pas accès au logiciel dans lequel convergent tous les résultats.

D’autre part, la qualité des procès-verbaux semble poser problème pour la compilation. « Les procédures n’étaient pas suffisamment maîtrisées dans presque la moitié des bureaux observés, notamment concernant l’établissement des procès-verbaux », a souligné la mission de l’UE dans une déclaration liminaire du 31 juillet. Sur certains PV que Le Monde Afrique a pu consulter, ne figure que la liste des candidats, sans les résultats. Selon nos informations, pour le seul district de Bamako, au moins quinze PV ont été égarés.

Premier ou second tour ?

Dans les quartiers généraux des deux favoris, le président IBK et Soumaïla Cissé, de premières tendances ont été annoncées dès le lendemain du premier tour. « Nous savons qu’il y a une large avance du candidat IBK et que par la suite il y a deux candidats qui se tiennent au coude à coude. […] Je me garde de donner des chiffres, contrairement à d’autres candidats. Nous respectons la loi », a déclaré Mahamadou Camara, directeur de la communication de la campagne du chef de l’Etat. Quelques heures plus tôt, un membre de l’équipe présidentielle s’était aventuré sur WhatsApp en évoquant « une tendance qui commence à se préciser : IBK gagnant au premier tour ».

« Depuis juin, ils avaient bien en tête de gagner dès le premier tour », rétorque Tiébilé Dramé. Pour contrer toute présumée tentative de passage au premier tour du président sortant, le camp de M. Cissé a immédiatement annoncé qu’il y aurait un second tour, opposant leur candidat à IBK, le 12 août. La réponse officielle est attendue au plus tard vendredi 3 août.