Les ordinateurs permettent de valider les transactions en bitcoin ou en ether effectuées partout dans le monde, et de les inscrire dans la « blockchain », l’équivalent d’un immense livre de comptes crypté et décentralisé. / Bigblock Datacenter

Des centaines de machines noires et blanches, grandes comme des boîtes à chaussures, s’alignent sur des étagères en acier encombrées de fils. Des voyants clignotent sur les coffrets où vrombissent de petits ventilateurs. D’un côté, ils aspirent l’air frais acheminé par d’imposantes colonnes. De l’autre, ils recrachent une brise brûlante – 45 degrés environ –, évacuée vers une trappe au plafond grâce à un système de bâches et de panneaux.

« C’est essentiel pour éviter la surchauffe des puces », précise Sébastien Gouspillou, cofondateur de la société Bigblock Datacenter, située à Orvault (Loire-Atlantique), près de Nantes. Le vacarme des ventilateurs est tel que ses paroles sont à peine audibles. « Là-bas, près de l’onduleur, nous avons aussi des armoires de climatisation », ajoute-t-il en désignant un immense placard gris. Et ce n’est rien à côté de la salle suivante, dans laquelle tournent des dizaines d’autres machines, truffées de processeurs et de cartes graphiques.

Ces ordinateurs spécialisés ont une fonction précise : ils « minent » des cryptomonnaies, et en particulier du bitcoin. Dans le détail, ils effectuent les calculs permettant de valider les transactions en bitcoin effectuées partout dans le monde, et de les inscrire dans la « blockchain », l’équivalent d’un immense livre de comptes crypté et décentralisé. Chaque calcul accompli est récompensé par l’émission de nouveaux bitcoins, dont la valeur unitaire évolue, ces jours-ci, autour de 6 500 euros.

Il y a quelques années, Sébastien Gouspillou dirigeait le développement européen d’Asia Plantation Capital, un investisseur spécialisé dans la gestion durable de forêts. Il a changé de vie après avoir découvert le bitcoin. « Cette technologie permet d’échanger de la valeur sans passer par le système financier classique. A terme, elle va transformer le monde, assure le quinquagénaire. Grâce à elle, les populations pauvres ou exclues pourront développer une activité sans avoir de compte bancaire, par exemple. »

En octobre, avec deux associés et un salarié féru de cryptomonnaies, il a ouvert sa « ferme » à bitcoin dans les anciens locaux de l’usine Alcatel d’Orvault. L’une des premières du genre en France. Les machines appartiennent à des clients et investisseurs. Bigblock Datacenter les a achetées pour eux et en gère la maintenance. En échange, l’entreprise touche un pourcentage des bitcoins générés. Fin 2017, lorsque le cours dépassait les 15 000 euros, la ferme était obligée de refuser de nouveaux clients, et les machines s’arrachaient à prix d’or sur Internet.

« Un marché majeur »

Depuis, la folie est retombée. Le minage exige une telle consommation électrique que l’activité est parfois difficile à rentabiliser. « Du coup, nous chassons les kilowattheures [kWh] moins chers, explique M. Gouspillou. Nous venons d’envoyer une partie de nos machines en Sibérie, où le kWh est à 5 centimes d’euros TTC, contre 11 centimes hors TVA en France. D’autres sont en Ukraine. Et nous venons d’acheter un terrain au Kazakhstan. » Il sort son téléphone portable et fait défiler les photos du site en question, entouré de sable. Il est situé près d’un barrage qui alimentera directement la ferme en électricité. La veille, 140 machines installées dans un conteneur ventilé sont arrivées sur place.

A présent, la plupart des grandes fermes à bitcoin – jusqu’à 7 000 machines – se trouvent en Chine, au Canada ou en Islande, à proximité des sources d’énergie à bas coûts. Mais cela n’empêche pas Bigblock Datacenter de nourrir des projets pour la France. « Il serait dramatique que notre pays passe à côté de cette technologie. Ce serait nous priver d’un marché majeur », estime M. Gouspillou.

Il envisage de lancer un incubateur de start-up consacré à la blockchain sur son site de Loire-Atlantique. Dans le secret de ses 3 000 mètres carrés, il développe un système de chaudière numérique avec Dalkia, la filiale d’EDF spécialisée dans les services énergétiques. Elle permettra de récupérer les calories émises par les machines pour chauffer un circuit d’eau.

D’ici peu, il installera également l’un de ses conteneurs à machine sur une centrale hydroélectrique de l’Ariège, comme au Kazakhstan. « Certains propriétaires privés français de barrage sont à la peine, observe M. Gouspillou. En achetant directement leur production, nous pouvons leur assurer un revenu régulier et leur permettre d’éviter les pertes dans le moment de surproduction ». Le même système est envisageable avec les éoliennes. Preuve selon lui que le bitcoin, souvent montré du doigt pour sa gloutonnerie énergétique, peut aussi devenir écologique…