Lors de la convention du Parti des travailleurs brésilien, le 4 août, à Sao Paulo. / Nelson Antoine / AP

« La politique, c’est l’art de l’impossible », aime à répéter Lula. Le prisonnier le plus célèbre du Brésil semble se surpasser en la matière. Il a non seulement réussi à se faire investir par le Parti des travailleurs (PT, gauche) réuni samedi 4 août en convention à Sao Paulo, après quatre mois d’incarcération il est toujours le favori du scrutin avec 30 % des intentions de vote. Depuis le fond de sa cellule, l’indomptable détenu poursuit un bras de fer implacable avec les juges et compte bien imposer son agenda aux autres candidats.

« Je suis Lula » se sont écriés des milliers de partisans à la convention du PT, portant le masque de leur leader incarcéré à 400 kilomètres de là. « Ils s’imaginaient que Lula perdrait de son prestige. Mais le peuple connaît Lula et nous sommes face à une bataille décisive », a lancé Fernando Haddad, ex-maire de Sao Paulo, pressenti pour remplacer l’ancien président (2003-2010) en cas d’inéligibilité.

En pratique, le calendrier politico-judiciaire brésilien des semaines à venir semble relever d’un scénario de fiction à suspense. Qui pourrait mal finir.

Inéligibilité quasiment certaine

La candidature de Lula doit être officiellement enregistrée d’ici le 15 août. Celui-ci espérait attendre cette date avant d’annoncer son éventuel remplaçant mais pourrait être contraint de céder à la pression de la justice qui a imposé la date du lundi 6 août pour mettre fin à l’incertitude qui pèse sur l’élection.

Le 15 est également la date à partir de laquelle le Tribunal supérieur électoral pourra se prononcer sur son inéligibilité. Celle-ci est considérée quasiment certaine en vertu de la loi sur le casier vierge (ficha limpa) interdisant toute candidature en cas de condamnation en deuxième instance pour corruption ou blanchiment d’argent, ce qui est précisément le cas de Lula.

Ses avocats font néanmoins valoir que les voies de recours n’ayant pas été épuisées dans les cours supérieures de justice, leur client devrait être éligible au titre de la présomption d’innocence. Le tribunal aura jusqu’au 17 septembre pour prendre sa décision, soit seulement trois semaines avant le scrutin. Le président du tribunal, Luiz Fux, a répété début août que Lula était « inéligible ».

Susceptibilités au sein de la gauche

Tout le monde s’accorde à dire que la stratégie d’atermoiement de Lula, si elle risque de payer, n’est pas sans risque.

« La stratégie de ne pas nommer un remplaçant est correcte d’un point de vue du PT, un non-candidat ne peut pas être attaqué », concédait récemment le candidat de la droite, Geraldo Alckmin, investi lui aussi ce samedi par le Parti social-démocrate brésilien (PSDB).

Lula a choisi en effet de rester dans la course jusqu’au bout, espérant ainsi transférer à la dernière minute son énorme capital charismatique au candidat de son choix pour le propulser au second tour. Ceci, même sans être autorisé à faire campagne, ni participer aux débats.

André Singer, proche de Lula et auteur du livre Lulismo (Lulisme), essentiel pour comprendre l’héritage de l’ancien chef d’Etat, s’interroge pourtant sur le bien-fondé de cette décision, suggérant dans une interview au site UOL que celui-ci aurait dû définir un remplaçant plus tôt afin de le familiariser avec l’électorat. Fernando Haddad, s’il est choisi, est pratiquement inconnu hors de Sao Paulo, dans ce pays immense de plus de 200 millions d’habitants.

La procrastination et les tactiques de l’ex-syndicaliste ont d’ailleurs froissé les susceptibilités au sein de la gauche. Il fait lanterner Ciro Gomes (Parti travailliste démocratique) et Marina d’Avila (Parti communiste) tous deux déjà candidats à la présidentielle, sur une éventuelle candidature à la vice-présidence, aux côtés de son remplaçant éventuel.

« Sa stratégie d’auto-préservation par voie d’hégémonie sur la gauche divise celle-ci et fait le jeu de la droite et l’extrême-droite », estime Oliver Stuenkel, professeur à la Fondation Getulio Vargas.

Provoquer la confusion parmi les électeurs

Quant à sa décision de continuer à faire front à la justice électorale, les avis divergent radicalement sur son bien-fondé et ses conséquences.

Lula qui clame son innocence, se dit persécuté par la justice, les médias et les élites. Il peut compter sur son électorat le plus fidèle qui continue à le soutenir sans faille, sur une partie de la population qui juge sa condamnation trop sévère au regard des accusations de corruption bien plus graves pesant sur le reste de la classe politique. Il a également reçu le soutien de nombreuses personnalités à l’étranger, parmi lesquelles François Hollande ou encore Bernie Sanders, pour lesquels l’icône de la gauche devrait être autorisée à participer à la présidentielle. Fort de ce soutien, l’ancien syndicaliste a opté pour une stratégie jusqu’au-boutiste face aux juges.

« Lula veut forcer le tribunal électoral supérieur à le déclarer inéligible alors que la loi est parfaitement claire sur le sujet. C’est une attitude dangereuse pour la démocratie », affirme Silva Battini, ex-procureure et spécialiste de droit électoral à la Fondation Getulio Vargas. « S’il continue à faire appel, on court le risque d’avoir son nom sur les bulletins de vote, ce qui provoquerait la confusion totale parmi les électeurs », déplore-t-elle.

Mais pour les défenseurs de Lula, le vers était déjà dans le fruit, le jour la destitution de sa dauphine, Dilma Rousseff en 2016, considérée par ces derniers comme un coup d’Etat parlementaire. Laquelle aurait contribué à la montée des extrêmes, représentée aujourd’hui par le candidat Jair Bolsonaro. « La démocratie brésilienne s’est affaiblie et peut céder », prévient André Singer.