Alors que l’administration américaine s’apprêtait à appliquer sa première vague de sanctions contre l’Iran, mardi 7 août, la Commission européenne a annoncé, lundi, qu’elle activerait, en guise de riposte, sa loi dite « de blocage » (blocking statute). Elle vise à protéger les entreprises européennes qui voudraient rester actives en Iran, malgré les menaces brandies par Donald Trump.

Les mesures américaines frappant Téhéran devaient entrer en vigueur mardi à 6 heures. Elles ciblent les transactions financières et les importations de matières premières, ainsi que les secteurs des métaux précieux, de l’automobile et de l’aviation commerciale. Le gouvernement américain entend ensuite mettre en place, le 5 novembre, des mesures touchant les secteurs du pétrole et du gaz, ainsi que la Banque centrale iranienne.

Signal politique destiné à l’Iran

Les Vingt-Huit veulent répliquer pour défendre leurs intérêts économiques mais ils lancent, en fait, un signal politique, qu’ils espèrent fort, au régime iranien, qui exigeait des signes concrets de l’engagement européen en vue de défendre l’accord global sur le nucléaire iranien (JCPOA), approuvé en 2015 par les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a souligné, lundi, que, selon lui, le rétablissement des sanctions américaines allait isoler les Etats-Unis et leurs alliés saoudiens et israéliens.

Les Européens veulent aussi s’adresser au président Trump, qui a dénoncé l’accord en mai. Lundi, les ministres des affaires étrangères français, allemand et britannique ont signé, avec la Haute Représentante Federica Mogherini, un communiqué commun évoquant leur « profond regret » de la réimposition de mesures restrictives. « La levée des sanctions est une partie essentielle de l’accord : elle vise à avoir une incidence positive non seulement sur les relations commerciales et économiques avec l’Iran mais également et surtout sur la vie du peuple iranien », précise le texte.

Bruxelles persiste à croire que l’accord global entériné en 2015 par les Nations unies est le seul moyen d’empêcher une escalade nucléaire. M. Trump défend l’idée qu’il n’entrave pas le développement de l’arsenal balistique de Téhéran et n’endigue pas ses activités déstabilisatrices au Moyen-Orient ou dans les pays du Golfe.

Des sanctions américaines jugées illégales

L’initiative des Vingt-Huit détaillée lundi consiste en fait en une réactivation de dispositions élaborées en 1996, lors de la menace de sanctions américaines contre Cuba, la Libye et, déjà, l’Iran. Elles visaient à contrer les effets extraterritoriaux pour les entreprises européennes voulant investir et développer leurs activités dans les pays concernés.

Les nouvelles dispositions interdisent en fait aux entreprises européennes de se conformer aux sanctions américaines, jugées illégales en droit international : elles aboutiraient à dicter leur ligne de conduite à des opérateurs économiques qui n’ont pas à être soumis à des lois américaines. Si des entreprises s’y soumettaient quand même – certaines l’ont déjà fait – elles devraient être frappées de pénalités, fixées par chaque Etat membre et censées être à la fois « dissuasives et proportionnées ».

Les mesures annoncées ouvrent, par ailleurs, des droits à l’indemnisation – à fixer par un juge – pour les dommages qui seraient causés par ces sanctions. Enfin, le texte annule les éventuels effets, dans l’Union, de toute décision de justice étrangère qui serait fondée sur ces sanctions.

Qu’en sera-t-il de firmes contraintes de se retirer du marché iranien parce que les conséquences qu’elles subiraient, notamment aux Etats-Unis, seraient trop lourdes ? Elles devraient demander une autorisation à Bruxelles, qui délivrera des exonérations « au cas par cas », « dans un délai rapide », selon des hauts fonctionnaires de la Commission.

Interrogés, par exemple, sur le cas du pétrolier Total, qui a très rapidement annoncé son retrait du vaste projet gazier South Pars 11, ils restent toutefois évasifs, confirmant que l’efficacité du dispositif mis au point ne semble pas garantie. « Les moyens existent (…) mais il ne faut pas se voiler la face, nos moyens sont limités », avait d’ailleurs prévenu il y a quelques semaines le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Le dispositif de 1996 a d’autant moins fait ses preuves qu’il n’avait pas été appliqué à l’époque, une négociation politique ayant écarté le risque d’une guerre commerciale avec Washington.

Encourager le mécontentement populaire en Iran

Après avoir indiqué récemment qu’il était prêt à rencontrer les dirigeants iraniens, le président américain a affirmé, lundi, qu’il était « ouvert » à un nouvel accord nucléaire, à condition qu’il concerne « l’ensemble de ses activités néfastes, y compris son programme balistique et son soutien au terrorisme ». Il a aussi évoqué les « graves conséquences » que subiraient les firmes qui ne se soumettraient pas aux injonctions américaines.

Toujours à la manœuvre pour tenter de préserver l’accord de Vienne et faire respecter, par Téhéran, le gel de son programme nucléaire, la diplomatie européenne redoute clairement que Washington ne veuille utiliser le levier des sanctions pour encourager le mécontentement populaire en Iran. « Et, ainsi, créer un autre facteur de déstabilisation dans une région qui n’en manque pas… », souligne un diplomate.